On aurait tant aimé les adorer
Par Anne Cassou‑Noguès
Les Trois Coups
Le Footsbarn Théâtre est une compagnie âgée de 45 ans, qui cultive depuis sa création un art vivant qui mêle différentes formes d’expression. Il monte aujourd’hui « Nid de coucou », librement adapté du roman de Ken Kesey rendu célèbre par le film de Miloš Forman.
Le spectacle a tout pour nous séduire. Tout d’abord, le thème du livre est passionnant. Il s’agit d’interroger la folie. En effet, la pièce se situe dans un hôpital psychiatrique et rassemble des individus dont les faiblesses semblent fort humaines. Billy Bibbit serait trop sensible, trop attaché à sa mère. Harding est soupçonné d’homosexualité… On comprend l’étonnement de MacMurphy, nouvel arrivant. Il juge ses compagnons bien ordinaires et a du mal à concevoir ce qui justifie leur enfermement. Quant à lui, il apparaît bon vivant, drôle, et l’on ne peut que se demander s’il a été placé dans cet hôpital parce qu’il souffrait d’une maladie mentale ou parce qu’il bousculait les habitudes, les principes, les règles de ceux qui l’entouraient. La frontière entre folie et norme est floue.
La mise en scène est également très brillante. La scénographie repose sur des effets de rideaux plus ou moins translucides qui permettent des projections – les souvenirs, les émotions des « malades » – mais aussi des jeux d’ombre. L’espace scénique offert par le chapiteau du Cirque Romanès se trouve ainsi démultiplié. De même, aux comédiens s’ajoutent des marionnettes. Ces dernières portent des masques extraordinaires, conçus par Federicka Hayter, qui donnent à voir la tristesse et l’accablement des patients. Il ne s’agit pas là d’une facilité pour la troupe, ou d’une mesure d’économie. La dualité entre l’homme et la poupée fait sens. Dès lors, le docteur qui est censé soigner les malades est incarné par un pantin, qui reste dans son bureau. Il est ainsi exactement semblable à trois autres formes immobiles qui encadrent sa fenêtre. Rien ne permet de distinguer le soignant des soignés. Quand l’infirmière en chef, la tyrannique Miss Ratched entre en scène, elle porte une figure monumentale en papier mâché, qui donne à voir à la fois sa puissance et sa vanité.
Enfin, on est inévitablement séduit par le jeu de Tony Wadham, qui incarne MacMurphy, le trublion, dont la joie de vivre va s’opposer au rigorisme de l’institution. Anglophone, il parle un anglais populaire et chantant, qui nous échappe parfois. Pourtant, on a le sentiment de le connaître depuis toujours. Il rend éminemment humain et crédible ce personnage et surtout il en fait comprendre l’ambiguïté. En effet, en voulant redonner de la vie et de la liberté à ses compagnons, il les blesse profondément. Plusieurs seront les victimes collatérales du duel qui se joue entre MacMurphy et Miss Ratchet.
Et pourtant…
Le Footbarn Theatre est une troupe que l’on a envie de défendre pour son engagement artistique sans faille. Plusieurs éléments du spectacle retiennent notre attention. Et pourtant, l’ensemble ne fonctionne pas parfaitement bien. On peut peut-être mettre en cause la question de la langue. Les comédiens viennent en effet de différentes origines et ne sont pas toujours francophones. On ne saisit pas toutes leurs répliques, mais ce n’est pas là le problème. On a parfois l’impression que pour se faire comprendre, certains des acteurs se sentent obligés de surjouer. Cela tend à couper l’émotion et à introduire des disparités entre les personnages. Ainsi, l’objectivité exige de reconnaître que l’on reste un peu extérieur au spectacle. On apprécie la mise en scène, on remarque telle ou telle image, mais l’on n’est pas bouleversé.
On aurait aimé adorer Nid de coucou et le défendre vigoureusement. Mais les efforts des comédiens, les prouesses de la mise en scène ne fonctionnent pas toujours et constituent un spectacle un peu hétérogène. ¶
Anne Cassou‑Noguès
Nid de coucou, d’après Ken Kensey
Site de la compagnie : www.footsbarn.com
Avec : André Julio Teixeira, Vincent Gracieux, Naomi Canard, Haka Resik, Dominique Prie, Tony Wadham, Paddy Hayter
Scénographie, création des masques et marionnettes : Federicka Hayter
Régie générale : Sophie Barraud
Création des costumes : Hanna Sjodin
Création lumière : Jean Grison
Création audiovisuelle et projections : Sophie Lascelles, assistée de Tim Pearce
Fabrication des décors : Brahim Arar
Régisseur : Thierry Meslin
Photos : © Pascal Gely
Assistante de production et communication : Flore Monnier
Cirque Romanès • square Parodi, boulevard de l’Amiral-Bruix • 75016 Paris
Du 13 janvier au 26 février 2017
Durée : 1 h 45
Tarifs : de 15 € à 25 €