Ce que dit la nuit des peuples
Par Dominique Dessein
Les Trois Coups
Voyage au centre des « Nocturnes » de Maguy Marin et Denis Mariotte, ou comment s’interroger sur le sens de l’expérience théâtrale…
Il est certaines soirées de spectacle qui ressemblent à des dîners mondains : vous êtes invités chez des « relations », des « gens » que vous connaissez un peu ou que vous avez l’impression de connaître, et à qui vous faites confiance, car vous savez que vous avez des « affinités » ou des « valeurs » en commun. C’est le cas avec Maguy Marin, dont les spectacles de danse contemporaine ont marqué l’histoire de l’art chorégraphique par leur force évocatrice et leur caractère novateur. Comment oublier, par exemple, l’extraordinaire May B, qui nous entraîne dans une absurde pantomime humaine à l’énergie pourtant communicative ? On est donc heureux à l’idée de vivre à nouveau une expérience artistique d’une telle qualité esthétique et d’une telle portée métaphysique.
Cependant, dès votre arrivée, des signes vous préparent à passer un moment spécial, pas vraiment décevant, mais tout à fait différent de ce que vous aviez auparavant imaginé. Tout d’abord, quand on vous rappelle très officiellement que, si le spectacle ne vous plaît pas, vous n’avez pas à gêner sa représentation ni à agresser ses acteurs, votre état d’esprit change, et vous vous demandez immédiatement si vous ferez partie des révoltés ou des dociles… Ensuite, lorsqu’une bande-son râpeuse, grondante et tonitruante retentit sur un « noir » perturbant, vous perdez tout de suite vos repères et êtes précipités au cœur du spectacle, d’une façon tellement violente et primaire que vous n’attendez que le mouvement pour vous emporter dans les salves de la création. Enfin, et de manière paradoxale, lorsque vous comprenez au bout de quelques minutes que le spectacle sera constitué de tableaux, immobiles ou presque, entrecoupés de ces plongées dans l’obscurité et le bruit, le systématisme de l’effet vous glace, et les scènes qui s’enchaînent perdent leur force.
Des formes
Créés pour la Biennale de Lyon en septembre 2012, ces Nocturnes donnent à voir des personnages qui ne dansent pas (déception des amateurs !) mais parlent beaucoup, dans des langues aussi variées que l’italien, le grec, l’espagnol, l’arabe, un peu d’anglais et de français. On n’apprendra évidemment pas grand-chose d’eux : métaphores de peuples en crise, ombres qui se cherchent, identités peu remarquables, ils sont autant de silhouettes à peine esquissées, qui n’ont ni le temps ni l’espace de nous toucher réellement. Leurs déplacements limités sur une scène au décor minimaliste (sombre et géométrique) retracent leurs échanges, leurs rencontres ou leurs discussions, dans l’illusion d’une quotidienneté misérable.
Comme des instantanés, ces photographies vivantes nous frappent néanmoins par une beauté plastique que l’on ne saurait nier : les différentes qualités de lumière, le choix des couleurs des vêtements, le mur noir du fond de scène sur lequel les danseurs laissent les traces de leurs mains (pauvre vestige humain si vite effacé par une ménagère zélée) constituent autant de motifs picturaux fascinants. Le propos, qui apparaît au fil des mots dits ou écrits, n’a pourtant rien d’original, mais il est terriblement d’actualité, et il sublime la volonté des artistes d’incarner cette douleur à exister, à se comprendre, à vivre ensemble.
Du sens
Pourquoi alors rester extérieur à ces Nocturnes ? Pourquoi analyser ? Pourquoi ne pas ressentir ? C’est l’intimité de chaque spectateur que le théâtre fouille et interpelle. C’est aussi sa vision du monde et la façon dont il conçoit le sens de l’expérience théâtrale. Celle-ci doit elle nous faire plaisir ? Certainement pas. Doit-elle nous choquer ? Pas nécessairement, mais elle le peut si cela sert la force de son propos. Doit-elle traiter de l’actualité des peuples dans la nuit de leurs douleurs ? Bien évidemment. C’est sa force et sa mission. Encore faut-il qu’elle ne schématise pas la terreur actuelle en mettant à distance l’émotion et la vie de ces peuples. ¶
Dominique Dessein
Nocturnes, de Maguy Marin et Denis Mariotte
Cie Maguy‑Marin • 7, rue Pargaminières • 31000 Toulouse
09 83 03 22 80
Conception et réalisation : Maguy Marin et Denis Mariotte
Avec : Ulises Alvarez, Kaïs Chouibi, Laura Frigato, Daphné Koutsafti, Mayalen Otondo, Ennio Sammarco
Direction technique et lumières : Alexandre Béneteaud
Son : Antoine Garry
Costumes : Nelly Geyres, Raphaël Lo Bello
Stagiaire technique et lumières : Charly Aubry
Stagiaire accessoires : Louise Mariotte
Photo : © Christian Ganet
Scène nationale de Sète et du Bassin‑de‑Thau, chai Skalli, quai Paul‑Riquet • 34200 Sète
Réservations : 04 67 74 66 97
Site du théâtre : http://www.theatredesete.com/
Courriel de réservation : location@theatredesete.com
Mardi 12 février, mercredi 13 février 2013, à 20 h 30
Durée : 1 h 5
Prochaines dates :
- 22 et 23 mars 2013 : Théâtre Garonne, Toulouse
- 12 avril 2013 : le Rayon vert, scène conventionnée, Saint‑Valéry‑en‑Caux