Radiographie d’un couple
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Avec « Nos paysages mineurs », Marc Lainé signe un spectacle très attachant : d’abord par l’histoire qu’il raconte, celle d’un couple, de sa naissance à sa mort annoncée, en une grosse heure de théâtre ; ensuite, par la forme, si légère qu’elle paraît simple, et pourtant virtuose.
La scène se passe dans un train. Dans les années 70, un prof de philo parisien plutôt séduisant (Vladislav Galard) voit arriver dans son compartiment une jeune femme. Le trajet promettant de durer, il l’entreprend, mi-curieux, mi-dragueur. Elle (Adeline Guillot) l’éconduit, préférant regarder les paysages (qu’il trouve mineurs), il insiste et peu à peu elle cède, séduite. Commence alors une véritable rencontre entre deux mondes. Liliane est vendeuse au Bazar de l’Hôtel de Ville, elle rentre chez ses parents à Saint-Quentin. Si cette différence sociale peut sembler un atout au début, elle va créer un différentiel qui va rapidement peser, puis s’envenimer, d’autant que, pour rester dans la tradition patriarcale, elle a quelques années de moins que lui.
L’amusement qu’il éprouve devant ses enthousiasmes tourne vite à la condescendance : il lui conseille de reprendre des études, peut-être à l’Université de Vincennes où il a des amis. Elle se laisse mener et se sent malmenée. Car au fur et à mesure qu’elle avance et progresse, devenant plus autonome, l’espèce de mise à niveau qu’il lui proposait s’éloigne : elle devient étudiante, il est déjà un auteur à succès et remporte le Prix Renaudot. Et quand elle adopte des positions féministes (enfin ! dirait-on), il les minimise, voire les ridiculise.
C’est donc, autant que l’histoire d’un couple, celle d’une époque où les vies sont percutées par l’histoire des idées, par les changements culturels qui se produisent et traduisent des gouffres entre hommes et femmes, entre bourgeois et prolétaires. Et c’est diablement intéressant, d’autant que Marc Lainé n’est jamais démonstratif, ni dogmatique. On pense d’ailleurs à Rohmer.
Embarquement immédiat
La légèreté caractérise aussi et surtout un dispositif scénique, pourtant sophistiqué. À jardin, un écran montre un paysage rural et champêtre aux différentes saisons, tandis qu’en dessous de cet écran, un modèle réduit dans lequel voyage le couple tourne en rond. Sur la partie cour, un grand écran nous invite à entrer dans le compartiment où sont assis Liliane et Paul. C’est le chef de gare, violoncelliste de surcroît, interprété en direct par Vincent Ségal qui semble improviser une bande originale au rythme du train et des émotions des personnages.
Pour réussir ce petit miracle, car c’en est un, il faut, en plus d’un compositeur surdoué capable de jouer de l’aiguillage, trois caméras pour filmer alternativement et parfois en même temps le petit train, le « vrai » train (au théâtre, l’illusion est reine), avec ses portes qui s’ouvrent (souvenez-vous, il fallait les tirer assez fort pour qu’elles daignent coulisser), les gouttes de pluie qui tombent à l’extérieur, le paysage qui change, les personnages qui évoluent dans leurs sentiments (les acteurs doivent donner l’illusion que six ans passent en une heure) comme dans leurs vêtements (entre modes et météo), etc.
Avant d’être metteur en scène et auteur, Marc Lainé est scénographe. Au moins chronologiquement. Il ne laisse rien au hasard. On lui sent à la fois une compétence de meilleur ouvrier de France et une âme d’enfant ravi de sa locomotive tirant ses wagons avec la précision d’un métronome sur ses rails.
Ses spectacles sont de petits bijoux savamment ciselés. Mais l’artiste est réellement homme-orchestre. Son imaginaire et sa capacité à nous entraîner sont majeurs. Réjouissons-nous : il prépare une suite à Nos paysages mineurs. Cela s’appellera Pour en finir avec leur histoire et c’est pour la saison prochaine. 🔴
Trina Mounier
Nos paysages mineurs, de Marc Lainé
Texte, mise en scène, scénographie : Marc Lainé
Avec : Vladislav Galard, Adeline Guillot, Vincent Ségal (violoncelle)
Musique : Vincent Ségal
Lumières : Kevin Briard
Son : Clément Rousseaux
Vidéo : Baptiste Klein
Costumes : Dominique Fournier
Collaboration scénographie : Stephan Zimmerli
Durée : 1 h 10
Dès 14 ans
Théâtre de la Renaissance • 7, rue Orsel • 69600 Oullins
Du 15 au 17 mars 2023, à 20 heures
De 5 € à 26 €
Réservations : 04 72 39 74 91 ou en ligne
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