Élégance canaille
et gravité légère
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
La saison culturelle 2014-2015 de Cesson-Sévigné (Ille-et-Vilaine) a pour titre « Dans mes rêves, je chante ». C’est dans ce cadre que le Carré Sévigné a accueilli la chanteuse Juliette pour un grand moment de musique, d’émotion et d’humour.
Le spectacle de ce soir est tiré pour l’essentiel du dernier album de Juliette, Nour (Polydor/Universal, 2013). La nouveauté est que chaque titre est inséré dans une sorte de récit-cadre emprunté à l’univers des romans, des séries et des films policiers. Pour chaque épisode, Juliette est installée derrière un petit bureau qui évoque les commissariats des années passées. Elle y joue le rôle d’un commissaire inspiré de… son grand-père. Maigret, Simenon, Tati, un suspect, un médecin légiste, les Cinq Dernières Minutes, etc., sont convoqués. Les personnages sont interprétés à tour de rôle par ses musiciens, avec un joli talent de comédien, il faut bien le dire. Les dialogues sont savoureux et souvent pleins d’humour, noir parfois. Mais l’humour peut encore être subtilement coquin comme ces délicieux Bijoux de famille, clin d’œil à Diderot.
Le spectacle commence, comme l’album Nour, par le délicat Petit musée, valse lente et mots choisis pour cet instant de nostalgie. Mais bientôt, de peur de céder à l’émotion facile, voici le Diable dans la bouteille, évocation d’un penchant aussi plaisant que dangereux dont l’interprétation est plus réussie sur scène que sur le disque.
Entre rire et gravité
Le spectacle hésite ainsi, sans cesse, entre le rire, parfois un peu forcé, et une forme de gravité. Sur ce dernier versant, Une petite robe noire est toujours aussi percutante dans sa dénonciation des violences faites aux femmes, et Un monsieur me suit dans la rue, reprise de Piaf et Barbara, est admirablement accompagné au violoncelle et à la clarinette basse. Nour (« Lumière » en arabe) sait toucher le cœur avec des mots justes. À l’opposé, Belle et rebelle, dans une atmosphère de rythm and blues, est interprétée allure canaille. De même, les Doigts dans le nez, cette « ode au mucus », jouent sur le contraste entre la trivialité du propos et l’interprétation façon « beau chant », renforcée par l’usage (ironique) du subjonctif imparfait. La reprise instrumentale de cette chanson par les musiciens transformés en big band, avec Juliette au piano, est tout à fait réjouissante.
C’est aussi la scène qui donne tout son sens à cette vraie pochade potache qu’est Jean‑Marie de Kervadec, titre qui a beaucoup fait rire les spectateurs bretons. Tu ronfles (une reprise) et l’Éternel féminin, en bis, concluent ce spectacle où, avec une générosité jamais démentie en deux heures, Juliette allie la délicatesse et la gaudriole, l’élégance de la langue et le rire énorme. Il faut tout spécialement saluer les musiciens polyvalents qui l’accompagnent et ajoutent à leurs grands talents celui de jouer la comédie. ¶
Jean-François Picaut
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Nour, de Juliette Noureddine
Avec : Juliette Noureddine (chant, piano), Franck Steckar (percussions, accordéon, trompette), Philippe Brohet (percussions, vents, cuivres), Karim Medjebeur (piano, percussions, saxophone), Bruno Gare (percussions, soubassophone), Didier Bégon (guitares) et Christophe Devillers (contrebasse, trombone)
Photo : © Jean-François Picaut
Carré Sévigné • 4, mail de Bourgchevreuil • 35510 Cesson-Sévigné
Réservations : 02 99 83 11 00
Samedi 24 janvier 2015 à 20 h 30
Durée : 2 heures
26 € | 24 € | 16 €