Dussolier homme-orchestre
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Difficile d’adapter pour le théâtre un texte aussi poétique et intimiste que celui d’Alessandro Baricco, « Novecento, pianiste ». André Dussolier contourne la difficulté brillamment, mais au détriment du roman.
Novecento est le roman qui fit connaître son auteur, le plus traduit et sans doute le plus lu. C’est aussi le nom du personnage principal, un nom qui se confond avec l’aventure de sa naissance : abandonné à l’âge de dix jours dans un carton sur le piano à queue de la salle de bal d’un de ces grands transatlantiques de légende contemporains du Titanic, il est adopté par un marin, puis par l’ensemble des matelots. Né par métaphore d’un piano et de la mer, il va devenir comme par magie un pianiste exceptionnel, génie capable d’improviser à partir de ce qu’il a fugacement entendu, du Bach par exemple, de composer des variations et d’inventer le jazz. Son histoire est celle d’une passion et ne peut donc que sombrer avec un navire qui de berceau se transformera en prison puis en tombeau.
André Dussolier et Pierre‑François Limbosch ont choisi de construire un livre d’images qui nous entraîne dans le salon de réception, parfois dans la cale, ou sur le pont. Ceci grâce aux belles toiles peintes qui, avec pour tous accessoires une échelle mobile et un début de passerelle, façonnent une esquisse mouvante : New York au loin, les lustres et les robes de bal.
Un quatuor complète à cour (ou plutôt à babord) ce décor : il s’agit de quatre musiciens, un bassiste, un percussionniste, un contrebassiste et… Novecento, pianiste (véritable titre de l’œuvre). Remarquables instrumentistes, ils jouent en direct du jazz, nous emportant mieux que n’importe qui dans cette époque, sur ce navire, renforçant la couleur locale. Bien entendu, ils sont bien davantage que cela, et la musique qu’ils nous offrent, très virtuose, est tout autre chose qu’un intermède illustratif. Ils ajoutent à la qualité et au plaisir des spectateurs. Tout est magnifiquement et sobrement reconstitué. Et prêt à recevoir une atmosphère.
Le roman s’efface derrière le one-man-show
C’est là que le bât blesse : devant le spectacle, le lecteur ne reconnaît pas le livre, à peine les personnages, pas du tout l’écriture. Certes, Novecento est bien présent, mais nous ne le verrons que de dos (ou presque), réduit à ses mains qui voltigent à toute allure sur le clavier comme s’il cherchait à gagner un concours de vitesse. On applaudit la dextérité, mais le tour de force tue toute émotion. Le personnage principal n’est d’ailleurs plus Novecento, mais le narrateur à qui il sert de faire-valoir, André Dussolier lui-même, bien entendu. Et celui-ci prend toute la place. Rien de plus logique si l’on sait qu’il est à la mise en scène et en outre à l’écriture puisque non seulement le point de vue a été modifié par l’adaptation (signée du même Dussolier), mais jusqu’au caractère du conteur qui devient une sorte de bonimenteur de salon qui fait des blagues !
Certes, André Dussolier est un interprète formidable qui répond pleinement à toutes les attentes d’un public massivement venu pour le voir, lui, effectuer une prestation haut de gamme. Il est bourré de talent et nous offre ici tout un éventail de sa virtuosité : jouer du saxophone, courir d’un bout à l’autre du plateau avec une légèreté digne d’un jeune homme, chanter et incarner à lui seul tous les rôles, matelots, capitaine, etc., créant l’illusion du théâtre. Sa diction est parfaite (mais pourquoi diable sa voix est-elle amplifiée ? Il n’en manque pourtant pas…).
Nul doute qu’il a aimé le livre et souhaité nous le faire partager, mais cette partie-là du contrat est loin d’être remplie ! Sans doute eût-il été préférable de se contenter d’une lecture qui aurait tout aussi bien mis le comédien en valeur. ¶
Trina Mounier
Novecento, d’Alessandro Baricco
Mise en scène : André Dussolier, Pierre‑François Limbosch
Texte français et adaptation : André Dussolier, Gérard Sibleyras
Avec : André Dussolier
Collaboration artistique : Catherine d’At
Musiciens : Elio Di Tanna (pianiste), Sylvain Gontard (trompette), Michel Bocchi (batterie / percussions), Olivier Andrès (contrebasse)
Création et direction musicale : Christophe Cravero
Scénographie et images : Pierre‑François Limbosch
Lumière et images : Christophe Grelié
Photo : © Gilles Vidal
Les Célestins • 4, rue Charles-Dullin • 69002 Lyon
Réservations : 04 72 77 40 40
Du 31 octobre au 9 novembre 2014, à 20 heures, relâche dimanche 2 novembre
Durée : 1 h 30
35 € | 31 € | 20 € | 18 € | 17 € | 15 € | 10 € | 9 €