De l’amour, de l’humour et de l’émotion
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
Katja Krüger s’est fait connaître comme comédienne. Élisa Bellanger est pianiste. Depuis quelques années, les deux artistes ont élargi leur palette. L’actrice chante, et il arrive à la musicienne de jouer la comédie. C’est le cas ce soir.
Oh, Johnny, oh ! est un spectacle dans le style du cabaret allemand des années 1920 et 1930. Il met en scène « Johnny » qu’en d’autres temps et d’autres lieux on appelait (Don) Juan. Un personnage de séducteur qu’on trouve dans beaucoup de chansons allemandes, françaises et anglaises. Il est donc ici question de séduction, de rapports amoureux en général complexes, où les femmes obtiennent moins souvent qu’elles ne le voudraient la tendresse ou l’attention qu’elles souhaitent. Mais il arrive aussi qu’elles mènent la danse de ce qui peut n’être qu’un jeu cruel.
Katja Krüger et sa complice Élisa Bellanger signent ici une de leurs plus belles réussites depuis qu’elles abordent ensemble le registre du cabaret. Oh, Johnny, oh ! est un savant, et fort plaisant, montage de textes et de chansons, d’airs d’opéra également, qui nous conduit de Don Juan à Johnny Guitar et de Mozart à Boris Vian en passant par la Carmen de Bizet.
Chemin faisant, nous allons croiser d’autres compositeurs comme Friedrich Hollaender, Kurt Weill, Benjamin Britten et encore Alain Goraguer à qui l’on doit le fameux Fais-moi mal Johnny illustré par son auteur Boris Vian, mais aussi tout récemment, et avec quel brio, par Carmen Maria Vega. Parmi les interprètes connus d’autres chansons passent les fantômes de Marlène Dietrich, Édith Piaf, Elvis Presley et l’ombre de Johnny Hallyday.
Tendre, coquine, aguicheuse
Élisa Bellanger se promène dans ces mondes musicaux avec une aisance souveraine, passant d’une aria à un rock puis à une chanson comme en se jouant. Ce soir, elle n’avait qu’un piano droit à sa disposition, mais elle le faisait sonner de toutes ses cordes du pianissimo le plus ténu au fortissimo le plus brut avec une constante élégance.
Ainsi soutenue, portée plus qu’accompagnée, Katja Krüger peut en toute confiance laisser libre cours à son talent de comédienne. Tendre, coquine, aguicheuse même, ou plaintive, malheureuse, revendicative, elle épouse tous les rôles sur un rythme haletant. Quelques accessoires vestimentaires pendus à un perroquet ou sortant d’une valise en carton lui suffisent pour camper un personnage. Ah, cette figurine habillée en treillis qu’elle installe sur le couvercle du piano et qui incarne ce grand sentimental de Don José à qui Carmen lance sa Séguedille, une trouvaille !
Mais, me direz-vous, Katja Krüger n’est pas une chanteuse lyrique ! Non, et elle n’essaie pas de se faire passer pour telle. On reconnaît là les conseils qui ont dû être prodigués par Élisa Bellanger, qui est aussi chef de chant à l’Opéra de Rennes. Ce soir, l’exercice était difficile pour une voix fatiguée par la durée du spectacle et une gorge irritée par les frimas d’automne. L’Aria du catalogue de Don Giovanni, en début de représentation, était, elle, traversée avec facilité. On ne peut nier cependant que Katja est plus à l’aise, qu’elle excelle même, dans la chanson, quel qu’en soit le style.
L’émotion et la tendresse sont venues s’inviter de façon tout à fait inattendue quand la fille de Katja Krüger s’est précipitée dans les bras de sa maman pour interpréter en rappel, avec elle, Johnny Palmer. Ainsi, l’amour le plus pur a-t-il clos un spectacle qui n’en avait pas toujours montré un visage souriant. ¶
Jean-François Picaut
Oh, Johnny, oh !, de et avec Élisa Bellanger et Katja Krüger
Avec : Katja Krüger(chant et jeu), Élisa Bellanger(piano et jeu)
Photo : © Jean-François Picaut
Le Diapason, auditorium de l’université Rennes I • 263, avenue du Général-Leclerc • 35000 Rennes
Réservations : 02 23 23 55 68
Le 23 octobre 2015 à 20 heures
Durée : 1 h 30
Entrée gratuite