Un spectacle qui en dit long ?
Par Anne Cassou-Noguès
Les Trois Coups
Onomatopée est un spectacle conçu par cinq comédiens issus de compagnies belges ou néerlandaises. Dialogues pour ne rien dire, gestes pour ne rien faire, cette création est un « plaidoyer pour l’illogisme ». Elle prétend n’avoir aucun sens, mais est-ce possible ? La négation de toute signification n’est-elle pas en elle-même une affirmation politique et esthétique ?
Il est inenvisageable de résumer la pièce. Cinq garçons de café attendent le public dans un décor exigu et branlant et discutent de thé et de menthe avant de « commencer » : commencer quoi ? Ils finissent par tout casser et par jouer un concert de cris d’animaux puis prononcent chacun un monologue, réflexion philosophique, blague potache ou associations sonores. Ne cherchez surtout pas de cohérence dans cet assemblage, il n’y en a pas.
Tout déconstruire
Les cinq comédiens semblent au contraire avoir l’ambition de démanteler toute tentative de signifier. Ainsi, ils traitent parfois le langage comme une musique. Le texte de Peter Van den Eede, qui occupe la première partie du spectacle, est moins un dialogue, un échange de paroles, qu’un quintette dans lequel chacun s’exprime à son tour selon une partition précise. Chaque acteur correspondrait à un instrument : l’un ne parle que de la table, un autre ne parle que du sucre… Chacun produit donc un son qui lui est spécifique. L’espace n’est pas épargné par l’entreprise de destruction des artistes. Il est d’abord malmené par une feinte maladresse. La scène dans laquelle l’un des personnages, armé d’une perceuse électrique, fixe un tableau dans un mur de papier est hilarante. Finalement, le décor est totalement anéanti au point que le public est invité, au sens propre comme au sens figuré, à traverser le quatrième mur. Au sens propre, il quitte les gradins provisoires et les quelques chaises où il est assis durant la première partie du diptyque, pour rejoindre les sièges de velours rouge qui lui sont généralement réservés. Au sens figuré, les cinq comédiens facétieux se plaisent à le faire tourner en bourrique, comme le suggèrent les animaux empaillés qui crèvent le décor de papier.
En effet, ils s’en prennent à nos habitudes de spectateurs. Ils se moquent du théâtre verbeux où parole et poésie ont la première place. Ils ridiculisent le théâtre-danse où chaque geste produit une émotion. Le public est déboussolé – quand il n’est pas assommé par un morceau de sucre marocain – et cherche vainement à « comprendre » ce qui lui arrive. Une banderole apparaît au-dessus du fond de scène : une revendication ? Un message ? Elle évoque « l’environnement libéral » de notre société contemporaine. Aussitôt, les spectateurs avisés imaginent une réflexion politique. La pièce devient une critique de l’utilitarisme de notre monde dans lequel on ne fait rien sans savoir ce que cela peut rapporter. Mais cela paraît un peu simple et résiste mal à la folie de la scène. Plus tard, des têtes d’animaux apparaissent, suivies de près par les acteurs qui se jettent à travers le papier qui délimitait l’espace de jeu. L’assistance se réjouit. Elle croit avoir perçu que les hommes sont des bêtes dont le langage est ridicule. Là encore, cette tentative d’interprétation est engloutie dans le bazar foutraque qui envahit la scène.
« Une joyeuse anarchie »
Il faut donc se résoudre à n’y rien comprendre. À moins bien sûr que cette posture soit déjà une attitude militante face à la vie et à l’art. On retrouverait alors le sens que les acteurs ont cherché à éradiquer. Aucune échappatoire : la signification nous poursuit. Il n’y a plus qu’à en plaisanter. Car on s’amuse beaucoup dans ce spectacle. On rit des clowneries des comédiens, mais on rit aussi de soi et de ses attentes, et ce d’autant plus que l’éclairage et le désordre des chaises dans la première partie nous permettent d’observer les autres spectateurs. On peut se demander ce qui demeure du théâtre quand on a tout renié. Il reste sans doute ce plaisir d’être ensemble, de déconstruire ensemble faute de pouvoir bâtir une structure solide et fiable. Et ce plaisir est indéniable.
On aimerait adorer Onomatopée sans réserve aucune. Il s’agit en effet d’une pièce qui se présente comme un « plaidoyer pour la liberté de l’artiste », qui nous désoriente sans nous agresser et sans critiquer, sur un mode plaisant. Pourtant, on peut regretter une certaine longueur qui engendre à l’occasion la lassitude. Pour tout mettre à plat, il faut une énergie débordante. Elle devient parfois excessive et un peu lourde. Dommage… ¶
Anne Cassou-Noguès
Onomatopée, création collective de tg STAN, De Koe, Dood Paard et Maatschappij Discordia
De et avec : Gillis Biesheuvel, Matthias de Koning, Damiaan De Schrijver, Willem de Wolf et Peter Van den Eede
Traduction en français : Martine Bom
Traduction en anglais : Paul Evans
Traduction en allemand : Christine Bais
Coproduction et technique : tg STAN, De Koe, Dood Paard, Maatschappij Discordia
Photo : © Sanne Peper
Théâtre de la Bastille • 76, rue de la Roquette • 75011 Paris
Réservations : 01 43 57 42 14
Site du théâtre : http://www.theatre-bastille.com/saison-13-14/les-spectacles/onomatopee
Du 19 octobre au 6 novembre 2015 à 20 heures, relâche les 24, 25, 31 octobre et 1er novembre
Durée : 1 h 45
26 € | 19 € | 16 €