L’ode à Rilke
Par Salomé Baumgartner
Les Trois Coups
Après sa création il y a neuf ans au Théâtre du Chaudron, la Compagnie Winterreise remonte « Orphelins » au Théâtre Dunois. Une plongée dans un univers aussi bien lyrique que poétique.
En une fin d’après-midi d’automne, treize orphelins se réunissent dans un parc. L’une d’entre eux, la petite Elizabeth, est morte et tous doivent prier pour elle. Ce premier contact avec la finitude de l’être laisse place à leurs interrogations sur l’existence. Sur le plateau, il n’y a presqu’aucun décor. Une serre fleurie, à cour, et quelques chaises, sur lesquelles les enfants s’assoient lorsqu’ils regardent leurs camarades. De quoi laisser les mots et les corps prendre le devant de la scène.
Cette création est un véritable hommage aux paroles de Rilke. En effet, si la traduction d’Olivier Dhénin, également metteur en scène, s’intitule Orphelins – comme celle du poète – son texte n’advient que dans une deuxième partie de la représentation. Le premier temps correspond à la mise en scène de quelques-uns de ses poèmes, extraits de Livre d’heures, Livre d’images et Requiem.
On ne connaît pas tous les noms des orphelins, on ne sait pas d’où ils viennent et même où ils sont. On distingue seulement qu’ils sont d’âges, de nationalités et de sexes différents. Dès lors, ils forment une entité hétéroclite, un chœur duquel des coryphées se détachent par moment.
La parole poignante de l’enfance
Véritable oratorio, leurs mots nous parviennent à travers la parole, le chant et la danse. Les lieders du cycle Die Winterreise de Franz Schubert et l’Opus 5 d’Anton Webern accompagnent et rythment les textes. Interprétés par quatre musiciens – tous jeunes également – ils construisent une atmosphère lyrique mais aussi fantomatique. Ils commencent chaque morceau par une grande respiration commune dont le bruit se confond avec celui du vent, contribuant à cet univers froid et presque effrayant. Sur ces musiques, les orphelins chantent en allemand et dansent. Leur gestuelle oscille entre des mouvements lents et brusques : un moyen pour les corps d’exprimer une tension, entre délicatesse de l’enfance et brutalité de la vie.
Deux adultes viennent intégrer l’univers de ces enfants, ils sont la représentation du monde qui les entoure. Une religieuse (interprétée par Alyzée Soudet) s’occupe d’eux et les réconforte. Un homme (Antoine Cordier) tient à la fois le rôle d’ange et de loup. Chacun d’entre eux a une position symbolique : l’une représente la femme rassurante, l’image substitutive de la mère ; l’autre tient une position ambivalente, entre protection et terreur.
À l’instar de l’esthétique de Rilke, le symbolisme est maître mot sur le plateau. On compte en effet treize enfants, référence à la fois à la religion chrétienne, mais aussi aux treize personnages des Aveugles de Maeterlinck. Tout sur scène fait signe. Sans nous enfermer dans un seul sens, le metteur en scène tend des clefs, afin que le spectateur se fasse sa propre interprétation.
Enfin, il faut souligner la prouesse artistique de ces enfants. Les acteurs, âgés de 9 à 20 ans, ne quittent jamais la scène durant l’heure et quart que constitue le spectacle. On s’émerveille de la manière dont ils tiennent des propos si matures et si profonds, en se demandant si eux-mêmes comprennent toujours ce qu’ils disent. Ils témoignent d’une jeunesse à la parole poignante et bien plus adulte qu’elle n’y paraît, troublant nos certitudes.
Orphelins est un indubitable objet poétique, une création propre à l’univers d’Olivier Dhénin, hermétique en cela. Il ne faut pas en espérer une compréhension totale et directe, et accepter de se laisser emporter. ¶
Salomé Baumgartner
Orphelins, par la compagnie Winterreise
Le texte est édité par La Pléiade
Mise en scène et traduction : Olivier Dhénin
Avec : Alyzée Soudet, Antoine Cordier, Gabriel Caballero, Raphaël Picardeau et en alternance Lounès Attalah, Adèle Aude, Gaspar Bardet Sombrun, Juliette Bardet Sombrun, Andrea Buret, Norah Durieux, Adrien Fossard, Gaspard de Fouchier, Evan Hermant, Alice Laforge, Gloria Mendès, Charles Monnier, Chloé Moralès, Symeon Otal, Salomé Riouallon, Rose Simpson, Marius Valero Molinard, Jean Vanderbach, Lina Vanderbach, accompagnés d’Alexandra Soumm (violon), Anton Hanson / Alexandre Pascal (violon), Andreï Malakhov (alto), Côme Giraudon / Matthieu Lecoq (violoncelle)
Lumière : Anne Terrasse
Masque : Étienne Frasson-Cochet
Chef de chœur : Pierre Barret-Mémy
Assistante costume : Lou Bonnaudet
Mouvement : Nina Pavlista
Durée : 1 h 20
À partir de 11 ans
Théâtre Dunois • 7, rue Louise Weiss • 75013 Paris
Du 4 au 8 décembre 2019, le mercredi à 19 heures, le vendredi à 20 heures, le samedi à 17 heures et le dimanche à 16 heures, relâche le jeudi 5
De 8 € à 16 €
Réservations : 01 45 84 72 00 ou par mail
Tournée
- Du 6 au 8 février 2020, à L’Espace Culturel des Halles de Tonnay-Charente (17)
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Mirad, un garçon de Bosnie, d’Ad de Bont, par Laura Plas
☛La maison du grand-père où est-il, de Colette Garrigan, par Elisabeth Hennebert