Catherine Benhamou et Sophie Merceron, lauréates des Grands Prix 2020
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Les prix ont été remis le 12 octobre au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, en présence des auteurs finalistes et de leurs éditeurs. Une 15e édition qui témoigne de la vitalité des écritures contemporaines.
Blandine Masson, réalisatrice et directrice de la fiction sur France Culture, a d’abord souligné l’engagement, la générosité et la bienveillance du jury indépendant qu’elle a présidé (composé d’Anne Alvaro, Marie-Pia Bureau, Nadine Chausse, Adama Diop, Claudine Galea, Marc Le Glatin, Joris Mathieu, Géraldine Mercier, Catherine Naugrette, Stanislas Nordey, Thomas Quillardet, Matthieu Roy, Philippe Sibeaud), avant d’annoncer :
Le Grand Prix de Littérature dramatique 2020 revient à Romance, de Catherine Benhamou (Koïnè)
La pièce : « Jasmine est une jeune fille de 16 ans. En grandes difficultés scolaires, Jasmine rêve de faire bouger les choses, de partir de la cité, de sortir de l’invisibilité à laquelle elle se sent réduite. C’est sur internet qu’elle va trouver la réponse à ses désirs autant qu’un écho à sa colère, en la personne d’un jeune homme. Ce qu’elle croit être l’Amour va quitter le virtuel et débarquer dans sa vraie vie. Il est fiché S, et avec lui son rêve secret deviendra un vrai projet. Grâce à Imène, la meilleure amie de Jasmine, le passage à l’acte n’aura pas lieu. Essayant de comprendre elle-même comment les choses ont pu aller aussi loin, Imène s’adresse à la mère de Jasmine et tente de comprendre la dérive de son amie. Le monologue d’Imène est traversé par des voix, celle de Jasmine, celles des autres élèves et celle de l’intervenant qui fait remplir aux élèves un questionnaire sur le suicide chez les adolescents. »
Comblée, Catherine Benhamou s’est rappelé avoir fait ses premiers pas comme comédienne dans ce même Conservatoire, ne pensant pas être un jour une autrice, « un mot qui n’existait même pas à l’époque », a-t-elle souligné, « alors que l’on connaît l’importance des mots, comme en témoigne Romance ». Elle a également rappelé le rôle majeur des comités de lecture, tels ceux de l’EAT, la Mousson d’été (MEÉC), la PlatO. Elle a alors présenté sa pièce, qui sera créée les 14 et 15 avril 2020 au Grand T, à Nantes : « Avec cette confidence poignante d’une adolescente, j’ai voulu parler de la complexité des processus de radicalisation et de la facilité avec laquelle une jeunesse désorientée peut tomber dans des pièges. C’est une forme d’alerte ».
Romance est également le coup de cœur de l’association Des jeunes et des lettres (partenaire de l’événement), avec Blanche-Neige, histoire d’un Prince, de Marie Dilasser (Les Solitaires Intempestifs).
Le Grand Prix de Littérature dramatique Jeunesse est décerné à Avril, de Sophie Merceron (École des loisirs).
Voici le synopsis : « Depuis que sa mère est partie, Avril fait des cauchemars. Il a peur du noir et surtout du loup plat. Il n’aime pas l’école, s’enferme souvent dans le placard, déteste prendre son bain et il n’a pas de copains : sauf un, Stéphane Dakota, qu’il est le seul à voir. Son père fait tout ce qu’il peut pour l’aider mais ce n’est pas facile. Jusqu’au jour où Isild vient donner des cours à Avril, à domicile. Et cette fille-là, c’est une vraie tornade. »
Cette histoire de garçon déscolarisé, déjà cabossé par la vie, qui s’invente un personnage imaginaire pour apprivoiser ses angoisses, traite également de problèmes de langage ou de communication. L’impossibilité de mettre des mots sur la colère et les chagrins mènent à une autre forme de violence. Cette première pièce a été créée en 2018, dans une mise en scène de Marilyn Leray, et programmée elle aussi au Grand T, mais la saison passée. Depuis, Sophie Merceron a publié une autre pièce : Manger un phoque.
La dotation des prix s’élève à 4 000 euros chacun. Artcena œuvre également au rayonnement des deux pièces primées et accompagne les auteurs lauréats avec une campagne de communication et de promotion.
Les finalistes
Le jury s’était réuni le 14 septembre. Parmi les 45 ouvrages pour la catégorie Littérature dramatique et les 18 ouvrages pour la Jeunesse, ses membres avaient sélectionné les textes finalistes suivants :
Grand Prix de Littérature dramatique :
- La Truite, de Baptiste Amann (TAPUSCRIT / Théâtre Ouvert)
- L’Histoire mondiale de ton âme (I – Les créatures ne veulent pas être des ombres) d’Enzo Cormann (Les Solitaires Intempestifs)
- Soudain Romy Schneider, de Guillaume Poix (Éditions Théâtrales)
https://vimeo.com/461793107http://
Grand Prix de Littérature dramatique Jeunesse :
- Blanche-Neige, histoire d’un Prince, de Marie Dilasser (Les Solitaires Intempestifs)
- Avril, de Sophie Merceron (École des loisirs)
Valoriser les écritures contemporaines
Créés par le ministère de la Culture et de la Communication, à l’initiative des EAT, les Grands Prix de Littérature dramatique existent depuis 2005 pour encourager la découverte d’auteurs dramatiques vivants. Parmi les lauréats : Joël Pommerat, Claudine Galea, Wajdi Mouawad, soit une vingtaine d’auteurs de dix maisons d’édition différentes.
Chaque année, ces prix distinguent une œuvre témoin de l’époque et du genre. Ainsi, les lauréates 2020 donnent-elles la parole à des « invisibles », des personnages prêts à basculer, l’un dans l’engrenage de la violence, l’autre hors de la réalité. Ces pièces disent la brutalité de certains rapports sociaux, l’importance de l’amitié et de l’empathie. Les autres textes traitent aussi du rapport au réel ou d’horizons bouchés (perte des repères, nécessité d’avoir des rêves…).
Moments de partage
Lors de la cérémonie, Gwénola David, la directrice d’Artcena, s’est réjouie de pouvoir apporter un éclairage sur « ces passeurs qui nous permettent de voir le monde autrement, grâce à leurs pas de côté », d’élargir toujours davantage le réseau pour célébrer « la puissance d’imagination des mots ».
Une nouveauté traduit aussi la volonté de concerner le plus grand nombre : la soirée a été l’occasion de lancer « Dans la fabrique de l’écriture dramatique », un parcours pédagogique adressé aux jeunes lycéens, en complicité avec les enseignants (avec le soutien du Rectorat de l’Académie de Paris). Tout au long de l’année scolaire, il s’agira « d’éveiller le désir, le goût de la découverte, avec une approche concrète de la littérature dramatique », à travers des ateliers (débat, écriture, lecture à voix haute) ou des rencontres (auteurs, éditeurs, interprètes, etc.). D’ailleurs, de nombreux jeunes étaient déjà dans la salle.
La soirée s’est déroulée en jauge restreinte, dans le respect des mesures sanitaires, mais elle a été captée et retransmise en direct sur la page Facebook. Grâce à l’accueil au CNSAD, le public peut en effet assister, depuis 2015, à une lecture d’extraits des finalistes par ses élèves, préparés par Robin Renucci. Cette mise en bouche contribue à donner envie d’en lire plus et surtout de voir les personnages de ces pièces incarnés sur scène.
Car ces textes dramatiques existent avant tout pour être portés sur un plateau : « la meilleure façon de saluer un auteur, c’est de le jouer », a souligné leur professeur. Quant à Claire Lasne Darcueil, elle défend les écritures contemporaines auprès de la nouvelle génération d’interprètes depuis son arrivée à la tête de l’institution : « Écrire, c’est affronter une certaine solitude, un espoir de réparer quelque chose du monde. Donnons à entendre et à voir ces travailleurs de l’ombre. ».
Au-delà de ces deux autrices récompensées pour leur talent, ces prix mettent aussi à l’honneur la littérature dramatique comme genre à part entière, en rendant hommage aux éditeurs de théâtre. Un soutien nécessaire dans un contexte où le réseau de diffusion est mis à mal, compte tenu des mesures sanitaires. La DGCA (Direction générale de la création artistique du ministère de la Culture et de la Communication), avec la SACD, a beau dédier un million d’euros à un fond de soutien d’urgence aux auteurs dramatiques, la situation demeure très fragile. D’où la nécessité de continuer à tisser des liens, au quotidien, y compris grâce à d’autres dispositifs mis en place par Artcena, telle que l’aide nationale à la création de textes dramatiques. D’ailleurs, Catherine Benhamou et Sophie Merceron en avaient déjà bénéficié. Un repérage et un accompagnement qui portent ses fruits. ¶
Léna Martinelli
Grands Prix de Littérature dramatique et Littérature dramatique Jeunesse, Artcena
Conservatoire national supérieur d’art dramatique • 2 bis, rue du Conservatoire • 75009 Paris
Le 12 octobre 2020
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Qui seront les lauréats des Grands Prix 2018 ? article de Léna Martinelli
☛ Les lauréats 2016, reportage de Léna Martinelli
☛ Blanche-Neige, histoire d’un Prince, de Marie Dilasser, d’après Blanche Neige, des frères Grimm, critique de Lorène de Bonnay
☛ Le Ciel est par terre, de Guillaume Poix, dans le cadre de la Mousson d’été 2016, reportage de Corinne François-Denève
☛ Âmes sœurs, d’Enzo Cormann, critique de Vincent Cambier
☛ Entretien avec Claire Lasne Darcueil, par Salomé Baumgartner