Sophie Merceron et Pauline Peyrade, lauréates des Grands Prix 2021
Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups
Artcena vient de remettre ses prix au Conservatoire national supérieur d’art dramatique (CNSAD), en présence des six auteurs finalistes et de leurs éditeurs. Une 16e édition qui fait la part belle à l’exploration des corridors reliant la fragilité à la violence.
Stanislas Nordey, directeur du Théâtre national de Strasbourg, metteur en scène et comédien, a présidé le jury composé de Marjolaine Baronie, Johanny Bert, Christophe Brault, Marie‑Pia Bureau, Chris Campbell, Laëtitia Guédon, Judith Henry, Arnaud Laporte, Joris Mathieu, Géraldine Mercier, Catherine Naugrette, Matthieu Royet et Elise Vigier. C’est Claire Lasne-Darcueil, directrice du CNSAD-PSL, qui a lancé la cérémonie par un mot sur l’ouverture / fermeture des théâtres (plateau et salle, écriture et interprétation) aux handicapés. Les choix du jury sont dans la logique de ce plaidoyer en faveur d’une écriture de la fragilité.
Grand Prix de littérature dramatique : À la carabine de Pauline Peyrade (Les Solitaires Intempestifs)
Synopsis : « C’est l’histoire d’une enfant de onze ans qu’un tribunal français a reconnue consentante à son propre viol. Cette enfant devenue jeune femme, l’écriture l’invite à se faire justice elle-même. La pièce met en scène la jeune fille et son agresseur, un ami de son frère, dans une situation qui dérape, qui n’est pas préméditée, mais dont l’agresseur demeure responsable, pour ne pas dire coupable. Ce n’est pas une réparation. Ce n’est pas une résilience. Parce qu’il y a des points de non‑retour, des intolérables. Parce qu’à la violence extrême ne répond pas l’espoir, ni la compassion, ni la compréhension (…). Parce qu’à la violence répond la violence, implacable, furieuse. »
La discrétion, pour ne pas dire la timidité de l’auteure, montée sur scène pour recevoir les hommages, offre un contraste saisissant avec la brutalité de son texte, dont les extraits ont été puissamment mis en voix par deux étudiants du CNSAD : Arthur Louis‑Calixte (à la carabine) et Angèle Garnier. Pauline Peyrade évoque la genèse de cette œuvre de commande, destinée à être jouée dans les lycées. C’est une écriture à vocation pédagogique qui transcende les lois de ce genre parfois ennuyeux et démine les piégeuses tentations du discours démonstratif. Pauline Peyrade ne démontre rien. Elle nous fait physiquement ressentir l’effroi : c’est beaucoup plus efficace.
À la carabine est également le coup de cœur de l’association Des jeunes et des lettres, partenaire de l’événement, ainsi que la pièce Normalito de Pauline Sales (Les Solitaires Intempestifs).
Les autres finalistes du Grand Prix de littérature dramatique :
- Neuf mouvements pour une cavale, de Guillaume Cayet, (Editions Théâtrales)
- Gratte‑Ciel, de Sonia Chiambretto, (L’Arche éditeur)
- Le Iench, d’Eva Doumbia, (Actes Sud-Papiers)
Grand Prix de littérature dramatique Jeunesse : Manger un phoque de Sophie Merceron (École des loisirs)
La pièce : « Picot est un petit garçon qui vit seul avec son frère et sa sœur. Il n’y a pas d’adulte dans cette maison-là. Pour consoler, rassurer, et acheter les céréales du petit-déjeuner. En dehors, la température chute et chute. Chaque jour, Picot prend le bus pour se rendre à l’école. Le chauffeur s’appelle Monsieur Gustave. Monsieur Gustave vient de Russie. On dit qu’il a mangé un phoque, un jour. Chaque matin, Picot s’endort et se réveille au terminus. C’est très loin de la ville, le terminus, très loin de l’école. Alors Picot passe ses journées dans un zoo abandonné. On raconte qu’un jour, les animaux s’en sont échappés pour aller chercher une vie meilleure. Y aura-t-il une vie meilleure pour Picot ? »
Détail singulier, Sophie Merceron a reçu le prix deux années consécutives (seule Claudine Galéa avait déjà été récompensée deux fois, en 2011 et 2019). Stanislas Nordey a évoqué les réticences qu’aurait pu soulever cette particularité et le fait qu’elles ont été balayées face à l’excellence de l’œuvre. Sophie Merceron a semblé sincèrement étonnée et émue de cette nouvelle récompense. Elle a évoqué sa tendresse pour les personnages cabossés. D’ailleurs, le public a été touché par le passage espiègle sur « la dompteuse d’avions », sélectionné pour la lecture et mis en voix par Angèle Garnier.
L’autre finaliste du Grand Prix de littérature dramatique Jeunesse
- Normalito, de Pauline Sales (Les Solitaires Intempestifs).
Le jury s’était réuni le 3 septembre pour choisir 6 finalistes, parmi les 48 œuvres pour la catégorie « littérature dramatique » et les 23 œuvres pour la catégorie « littérature dramatique Jeunesse », présentées par 23 éditeurs au total. La dotation des prix s’élève à 4 000 euros chacune et s’accompagne d’un gain de visibilité, grâce à une promotion soutenue par Artcena. Lors de la soirée du 18 octobre, des extraits des six textes sélectionnés ont d’ailleurs été lus par les étudiants du Conservatoire, dirigés par Robin Renucci. ¶
Elisabeth Hennebert
Grands Prix de littérature dramatique et de littérature dramatique Jeunesse, Artcena
Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, Paris Sciences et Lettres • 2, rue du Conservatoire • 75009 Paris
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Les Grands Prix Artcena 2018, par Léna Martinelli
☛ Ctrl-x, de Pauline Peyrade, par LénaMartinelli
☛ J’ai bien fait, de Pauline Sales, par Laura Plas
☛ Le Groenland, de Pauline Sales, par Trina Mounier