« Parlons d’autre chose », de Léonore Confino, le Funambule‐Montmartre à Paris

« Parlons d’autre chose » © Fabienne Rappeneau

Adorables ados, remarquable Confino

Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups

De la communauté d’ados à la meute de loups, il n’y a qu’un pas : le pétillant tandem Confino-Schaub nous offre une performance haletante et drôle sur un sujet de société plus sérieux qu’il n’y paraît.

La virée entre copains qui dégénère n’est pas un thème bien neuf. De la beuverie de jeunes officiers en équilibre sur les fenêtres d’un palais russe, dans Guerre et paix, à l’enterrement de vie de garçon dans Very Bad Trip 1, le dérapage en bande organisée a connu bien des versions, des plus flamboyantes aux plus lourdingues. La metteuse en scène Catherine Schaub s’associe pour la cinquième fois à la dramaturge Léonore Confino afin de produire, sur ce sujet un peu éculé, l’un de ces spectacles-chocs dont elles ont le secret.

Danses parfaitement réglées par la chorégraphe Magali B, beatbox, chant choral, arrêts sur images, ping‑pong verbal et logorrhées collectives, strip-tease et gueules de bois textuelles se succèdent sous les yeux (et les oreilles) d’un public tenu en haleine. C’est d’abord une dégustation croustillante que cette brève représentation. Puis, comme dans les bonbons effervescents, favoris de nos enfants, il y a un arrière-goût de bizarre, un second effet « Kiss cool ». Le léger et le violent, le séduisant et l’amer s’associent en un mélange détonant.

De l’impossible révolte à l’automutilation

Ce n’est ni de gamins radicalisés, ni d’enfants soldats, ni de désespérés tombés dans l’enfer des drogues dures dont il est ici question. Les personnages sont de beaux bébés sages et bien nés, élégamment habillés et grassement nourris, gavés d’études et de bons principes. Leur problème est simple : comment obéir à l’injonction de rébellion des vieux soixante-huitards quand on ne sait pas trop contre quoi se révolter et qu’on manie la souris plutôt que le pavé ? Et pourquoi cette angoisse au ventre alors qu’on a tous les jours son assiette pleine ? D’où peut bien sortir une telle violence, soudain, certaines nuits de fête, au milieu d’un quotidien tracé de façon si rectiligne ?

« Parlons d’autre chose » © Fabienne Rappeneau
« Parlons d’autre chose » © Fabienne Rappeneau

Il y a quelque chose de profond et de très juste dans le regard porté par Léonore Confino sur le malaise du jeune qui se rassure grâce à sa bande d’amis, face à une vie adulte qui s’annonce solitaire. La coupure du cordon avec la meute est encore plus difficile pour la génération ultraconnectée : le monde virtuel vient alimenter à l’infini l’angoisse provoquée par l’incapacité à demeurer seul. Blaise Pascal l’avait dit à sa manière, moralisatrice et vieillotte : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre. » 2.

Confino dépoussière l’adage et Schaub en fait une suite de tableaux saisissants comme la scène collective de ces neuf belles personnes, toutes seules dans leur lit, et en même temps toutes en ligne (Merci Snapchat, Whatsapp, Instagram et autres gadgets addictifs et somnifuges !). Rien de pesant ni de cérébral pourtant dans ce spectacle bâti sur un mode excitant et ludique. Elle est terrible, la violence de l’enfance sans problèmes et qui retourne contre soi-même, par désœuvrement, par jeu ou par bêtise, l’inexplicable force de destruction qui l’habite. Ils sont très convaincants, en lycéens déchaînés, ces neuf comédiens à l’aube de leur carrière. Coup de chapeau plus particulièrement à la diabolique Marguerite Hayter et à la pulpeuse Camille Pellegrinuzzi. Et au couple Schaub-Confino, on souhaite encore de nombreux enfants. 

Élisabeth Hennebert

  1. La scène décrite par Tolstoï dans son roman-fleuve est restituée au cinéma par King Vidor en 1956. Le succès, en 2009, du film Very Bad Trip de Todd Philipps fut tel que les épisodes 2 et 3 ne nous ont pas été épargnés.
  2. Blaise Pascal, Pensées, 1669, Pensée 139 sur le divertissement

Parlons d’autre chose, de Léonore Confino

Collectif Birdland

Mise en scène : Catherine Schaub

Avec : Aliénor Barré, Solène Cornu, Faustine Daigremont, Marion de Courville, Thomas Denis, Marguerite Hayter, Élise Louesdon, Camille Pellegrinuzzi, Léa Pheulpin

Musique : Aldo Gilbert

Chorégraphie : Magali B

Créateur lumières : Christophe Luthringer

Photos : © Fabienne Rappeneau

Le Funambule-Montmartre • 53, rue des Saules • 75018 Paris

http://www.funambule-montmartre.com/

Métro : Lamarck‑Caulaincourt (ligne 12)

Réservations : 01 42 23 88 83

Jusqu’au 1er avril 2017, du jeudi au samedi à 19 h 30, dimanche à 16 heures

Tarifs : 29 €, 19 € et 11 €

Durée : 1 h 10

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