Si « Peau d’âne » m’était conté… *
Par Fabrice Chêne
Les Trois Coups
Après « la Barbe bleue », Jean‑Michel Rabeux adapte un autre conte de Perrault. Sa version de « Peau d’âne » est un appel à l’imaginaire et une initiation à la magie du théâtre.
« Pour les adultes à partir de huit ans », écrit Jean‑Michel Rabeux dans le programme de son nouveau spectacle. Dans la petite salle de la M.C.93, en effet la moyenne d’âge des spectateurs ne doit pas dépasser onze ou douze ans. Et si l’on entend une mouche voler, c’est bien parce que les contes, comme l’a montré Bettelheim, fascinent en s’adressant à l’inconscient des enfants, et en leur permettant d’y voir plus clair dans la forêt des pulsions qui les traversent. Et surtout Peau d’âne, qui met en jeu l’interdit fondamental, celui de l’inceste, à travers l’histoire de ce roi tellement désolé par la mort de sa femme qu’il en vient à vouloir épouser sa propre fille, la seule du royaume à surpasser en beauté la reine.
Si le spectacle parvient à capter l’attention des jeunes d’aujourd’hui, c’est aussi parce que Jean‑Michel Rabeux a su mettre le conte au goût du jour, avec un ton bien à lui et un art du second degré qui plaira aussi aux plus grands. Dès le début, le metteur en scène multiplie les idées qui font mouche. Il commence par installer la Fée dans un rôle de narratrice, multiplie les accessoires décalés (le Roi et la Reine arrivent en Caddie), mêle les références musicales inattendues (de Strauss à Bjork), ou encore adresse un clin d’œil au film de Jacques Demy (« le gâteau d’amour »). Il donne aussi aux costumes une touche de merveilleux, dans un très beau ballet de robes lumineuses, juste avant que la Princesse ne revête sa peau d’âne pour échapper aux regards de son père.
La folie d’un roi
Un peu comme une tragédie restitue l’essence d’un mythe, Jean‑Michel Rabeux a su dégager les lignes de force du conte. Il a réécrit le texte juste assez pour le rendre attrayant pour de jeunes oreilles. Et ce qu’il choisit de donner à voir, en la théâtralisant, c’est surtout la folie d’un roi amoureux de sa propre fille. Ou peut-être faudrait‑il dire plutôt : amoureux d’une image ? Car si la Princesse est plus belle que la Reine, c’est parce qu’elle est son image rajeunie, semble suggérer le metteur en scène qui a confié les deux rôles à la même comédienne. Cette beauté, cette jeunesse, le Roi les désire comme un fou, et son désir est si impérieux que pour le satisfaire il est prêt à tout sacrifier. Mais tout cela n’est que fantasme, et Rabeux préfère en rire, faisant hurler le Roi comme le loup de Tex Avery, et affublant Peau d’âne des mêmes lunettes de soleil que la Lolita de Kubrick.
Aurélia Arto, dans le rôle-titre, porte le spectacle aux trois quarts. La jeune comédienne s’était fait particulièrement remarquer dans Blanche‑Neige de Robert Walser, au Théâtre de la Bastille. Elle prouve encore une fois qu’elle n’est nulle part aussi à l’aise que dans l’univers des contes. Après une première scène saisissante – la mort de la Reine –, elle campe une Peau d’âne à la fois charnelle et gracieuse, tout en légèreté, avec une justesse de ton qui ne se dément pas d’un bout à l’autre de la pièce. La voir brandir vaillamment ses poings pour se défendre des ardeurs de son père en répétant : « Je ne le veux pas, du tout, du tout », ou l’entendre dire au Prince : « Tu n’as pas essayé mon doigt » vaut en soi le déplacement.
Humour et poésie
Les deux autres comédiens ne sont pas en reste. Hugo Dillon est un roi tourmenté et inquiétant, mélange d’autorité et de démesure. Christophe Sauger, quant à lui, change de rôle comme de chemise, et au fil de ses désopilantes métamorphoses apparaît en fée‑drag‑queen, en fantôme, et finalement en prince branché et peroxydé : celui qui saura voir la beauté de la Princesse sous la peau d’âne qui l’enlaidit. Le (très) jeune public d’écoliers et de collégiens, qui peut‑être découvrira le théâtre avec ce spectacle, découvrira en même temps ce qui depuis toujours constitue son essence : chez Rabeux, on joue devant de simples tentures, on se déguise, on se travestit, on se cache. La rencontre du conte et du théâtre est placée sous le double signe de l’humour et de la poésie.
Notons encore que la Barbe bleue sera programmée à nouveau à la M.C.93 du 19 mars au 26 mars 2013, et que Peau d’âne partira bientôt à la rencontre de son public lors d’une longue tournée (voir dates ci‑dessous). ¶
Fabrice Chêne
* « Si Peau d’âne m’était conté / J’y prendrais un plaisir extrême. » (La Fontaine, Fables, VIII, 4.)
Peau d’âne, d’après Charles Perrault
Mise en scène : Jean‑Michel Rabeux
Avec : Aurélia Arto, Hugo Dillon, Christophe Sauger
Décors, costumes et maquillages : Pierre‑André Weitz
Lumières : Jean‑Claude Fonkenel
Son : Samuel Mazzotti
Assistant à la mise en scène : Geoffrey Coppini
Photo : © Ronan Thenadey
M.C.93 • 9, boulevard Lénine • 93000 Bobigny
Métro : Bobigny – Pablo‑Picasso
Réservations : 01 41 60 72 72
Du 16 novembre au 4 décembre 2012, à 20 h 30 les samedis, 19 h 30 les mardis, 15 h 30 les mercredi et dimanche, 14 h 30 les lundi et vendredi
Durée : 1 heure
27 € | 18 € | 16 € | 12 € | 10 €
Rencontre avec l’équipe artistique le dimanche 25 novembre à l’issue de la représentation
Tournée :
- Les 20 et 21 décembre 2012 : le Parvis – Ibos Tarbes
- Les 10 et 11 janvier 2013 : Théâtre d’Arles
- Les 14 et 15 janvier 2013 : Scènes du Jura, Dole
- Du 29 au 31 janvier 2013 : Scène nationale Petit‑Quevilly, Mont‑Saint‑Aignan
- Du 19 au 24 février 2013 : Théâtre Antoine‑Vitez, Ivry‑sur‑Seine
- Du 12 au 14 mars 2013 : le Bateau-Feu, Dunkerque
- Du 27 au 29 mars 2013 : la Rose des vents, Villeneuve‑d’Ascq
- Les 4 et 5 avril 2013 : le Vivat, Armentières
- Le 9 avril 2013 : centre culturel André‑Malraux, Hazebrouk
- Les 12 et 13 avril 2013 : Théâtre Louis‑Aragon, Tremblay‑en‑France
- Le 24 avril 2013 : Cournon, festival Puy‑de‑Mômes
- Du 24 au 26 mai 2013 : Sortie ouest, Béziers
- Les 30 et 31 mai 2013 : le Phénix, Valenciennes
- Du 5 au 7 juin 2013 : Comédie de Picardie, Amiens
Tournée 2014-2015
- l’Arc-en-Ciel à Rungis, 15 et 16 décembre 2014
- Théâtre Jacques-Prévert à Aulnay-sous‑Bois, 16 et 17 janvier 2015
- Théâtre des Abbesses à Paris, 20 au 24 janvier 2015
- Théâtre de la Croix-Rousse à Lyon, 27 au 31 janvier 2015
- la Coursive à La Rochelle, 17 au 20 mars 2015
- T.N.B.A. à Bordeaux, 19 au 22 mai 2015
- C.D.N. d’Orléans, 27 au 30 mai 2015