Fin de party
Par Stéphanie Ruffier
Les Trois Coups
La fin de vie ? Un thème à priori peu séduisant en temps de pandémie. Voilà pourtant qu’un spectacle débordant d’énergie nous y sensibilise et parvient même à nous réconcilier avec les masques !
« On peut y aller ? » La phrase d’ouverture du spectacle, prononcée par un vieil accordéoniste plein d’entrain, peut déjà s’entendre comme une invitation au voyage. Mais au voyage sans retour. Nous sommes ici dans un lieu de transit, de passage : un Ehpad. La mort s’y tient partout en embuscade : dans le bocal du poisson rouge (bleu!), derrière la guirlande pailletée qui souhaite ad libitum « joyeux anniversaire » à une centenaire, et dans les paroles des chansons qui sortent du transistor. Impossible d’y échapper, tout comme il semble difficile de se soustraire au regard du personnel soignant et d’une partie du public présent sur le plateau. La question liminaire du musicien sonne, dès lors, comme une revendication à disposer librement de sa vie.
Comment sortir de là ? De cette engeance. De l’espace contraint. De conditions de vie aliénantes. Cette question existentielle, le théâtre nous la pose inlassablement. Elle sourd dans le vaudeville comme chez Beckett. Elle s’incarne ici dans des corps en fin de partie mais portés avec vivacité et virtuosité par un collectif de comédiens internationaux issus de deux promotions de la toujours vivace et brillante école Jacques Lecoq. Il en découle une très belle galerie de portraits burlesques de vieux ou de vieilles, ainsi que des tableaux teintés d’humour noir et de tendresse.
Rejoindre le jardin
Autour de Mireille qui ne supporte pas la vie collective, de Paulette qui aime se griller un clope, ou de Gaston dont la fille n’est qu’une voix logorrhéique au téléphone, on observe la course ballet des infirmières aux langues diverses, une « ronde de musique ». On salue la dextérité des gestes qui transmettent le poids de l’âge et la rudesse des conditions de travail. Les changements de costumes se font, de même, à un rythme effréné.
Les tranches de vie illustrent ainsi différentes manières de tromper l’ennui ou de prendre la tangente : intermèdes musicaux, jeux un peu débilitants ou tremblotants, course aux friandises ou hygiéniste aérobic des mains. La tentation du suicide est abordée métaphoriquement ou plus frontalement, mais toujours avec délicatesse, par exemple à travers le personnage discret de Lydia qui cherche à se carapater derrière les plantes vertes. C’est que le « jardin » n’est qu’un leurre, un hors-champ inaccessible, un euphémisme pour désigner la sortie définitive.
Entre légèreté et gravité
Un jeune public peut ainsi tout à fait goûter le plaisir de découvrir les aventures de ces truculentes personnes âgées. Sur un rythme soutenu, l’accent est en effet mis sur les interactions et les personnalités, différents rapports à la vieillesse, à la solitude et à la mort.
Si on regrette que la critique de l’Ehpad reste plutôt discrète, il est en revanche vivifiant de voir une jeune troupe se saisir de ces sujets. La création s’est nourrie d’expériences intimes avec des proches, d’observations de rue (ces fameux « vieux » du titre qui traversent n’importe quand : par goût de l’aventure ? Par défi ? Par sénilité ?), mais aussi de résidences dans des établissements spécialisés. Le récit est habile.
On est maintes fois cueillis. Le jeu avec les demi-masques est de toute beauté, très maîtrisé. On est saisi par ces fantastiques visages cireux, comme autant de paysages sinueux où se lisent les parcours de vie. L’histoire n’évite pas les clichés, qui sont aussi ceux de l’Institution qui, trop souvent, infantilise, pressurise ses résidents, comme son personnel interchangeable et précaire.
Il faut vraiment encourager cette troupe qui traverse vaillamment les affres des confinements et du Covid. Là voilà enfin en salle ! On a également hâte de la voir investir l’espace public en tri-frontal. ¶
Stéphanie Ruffier
Pourquoi les vieux, qui n’ont rien à faire, traversent-ils au feu rouge ?, du Collectif 2222
Mise en scène : Thylda Barès
Avec : en alternance Victor Barrère (France), Andrea Boeryd (Suède), Yejin Choi (Corée du Sud), Paul Colom (France), Julia Free (États-Unis), Élizabeth Margereson (Angleterre), Ulima Ortiz (Colombie), Tibor Radvanyi (France)
Durée : 1 h 10
À partir de 6 ans
Le Lavoir Moderne Parisien • 35, rue Léon • 75018 Paris
Du 5 au 9 janvier 2022, 19 heures, le dimanche 15 heures
Réservations : 01 46 06 08 05
Tournée 2022 :
- Le 14 janvier à 20 h 30, à la Communauté de Communes Vallées de l’Orne et de l’Ondon, à Evrecy (14)
- Le 20 janvier à 20 h 30 au Théâtre Victor Hugo, à Bagneux (92)
- Le 26 mars à 20 h 30, au Studio – Bretteville L’Orgueilleuse Commune Nouvelle de Thue et Mue (14)
- Le 30 avril à 20 h 30, à la salle Michel Vallery à Montivilliers (76)
- Le 13 mai à 20 heures, à la salle de spectacle Jean-Pierre Bacri à Conches-en-Ouche (27)
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Feu, de Nadège Prugnard, par Stéphanie Ruffier