Une conversation dérangeante
Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups
Anne-Marie Lazarini met en scène « Probablement les Bahamas », une comédie grinçante de Martin Crimp créée en 1986 pour la radio. L’humour et l’angoisse se mêlent dans cette pièce inclassable de l’auteur contemporain britannique.
Pas étonnant qu’il s’agisse d’une pièce initialement destinée à la radio, car le langage est au cœur de Probablement les Bahamas. Par l’intermédiaire d’un invité muet, toujours de dos, les spectateurs s’introduisent dans le cottage fleuri de Milly et Frank. Le babillage incessant du couple de retraités gentiment radoteurs et les jeux de domination qui l’accompagnent prêtent à sourire. Toutefois, la conversation qui tourne en boucle distille un persistant sentiment de malaise. Le contenu souvent réactionnaire des propos de Milly y est sûrement pour quelque chose, tout comme la présence discrète de la fille au pair hollandaise.
Le manque d’écoute entre les personnages mène à des situations de conflit souvent cocasses. L’écoute du spectateur est en revanche totale, tant on pressent la menace latente sous le vernis de la banalité. Le monologue de la fille au pair confirme ce sentiment et marque le tournant de la pièce. On comprend alors que la parole répétée en boucle est la seule échappatoire que le couple ait trouvée pour oublier la noirceur qu’abrite leur famille.
Humour et angoisse
La pièce fonctionne notamment grâce à la grande complicité entre Catherine Salviat – excellente dans le personnage de l’infatigable Milly qui monopolise la parole de bout en bout – et Jacques Bondoux, qui offre un contrepoint comique avec un Frank placide et résigné. Enfin, Heidi-Eva Clavier, grâce à son interprétation tout en finesse, parvient à conserver le voile de mystère qui entoure son personnage.
On saluera également la minutie du décor, à grand renfort de tentures fleuries, qui reconstitue parfaitement la chaleur douillette du cottage anglais. La création d’une atmosphère rassurante apparaît en réalité comme un prérequis nécessaire pour mieux déranger le spectateur par la suite.
Avec Probablement les Bahamas, on retrouve bien l’esprit de la « comédie de la menace », héritée d’Harold Pinter, chère à Martin Crimp – un auteur de la même trempe. ¶
Bénédicte Fantin
Probablement les Bahamas, de Martin Crimp
Le texte est édité aux éditions de L’Arche
Mise en scène : Anne-Marie Lazarini
Assistant à la mise en scène : Cyril Givort
Décor : Dominique Bourde et François Cabanat
Costumes : Dominique Bourde
Lumières : François Cabanat
Avec : Jacques Bondoux, Heidi-Eva Clavier, Catherine Salviat (Sociétaire honoraire de la Comédie-Française)
Durée : 1 h 20
Photo : © Marion Duhamel
Artistic Théâtre • 45 bis rue Richard Lenoir • 75011 Paris
Site du théâtre et de la compagnie Artistic Athévains ici
Du 20 novembre 2017 au 16 Janvier 2018, mardi à 20 heures, mercredi et jeudi à 19 heures, vendredi à 20 h 30, samedi à 18 heures et 21 heures, dimanche à 16 heures, sauf le 31 décembre à 19 heures, relâche exceptionnelle le vendredi 12 janvier
De 15 € à 30 €
Réservations : 01 43 56 38 32 et en ligne
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