La crainte et l’attente
Par Éric Demey
Les Trois Coups
Voilà le sort de l’homme. Qu’il soit spectateur de « Purgatoire » ou dans l’espoir d’être repêché. Car une même question taraude la pièce, le théâtre, l’homme et le pécheur : comment s’en sortir ?
Au début, il n’y avait rien. Ou presque. L’attente ordinaire du spectateur face à des enceintes menaçantes montées comme des tours, et, comme des barres d’immeubles, des rampes de projecteurs pleins de lumière emmagasinée. Puis, l’air s’est mis à vibrer, à trembler, grésiller, au micro. Encapuchonné dans le noir, un homme prévient : certains se sentiront mal, d’autres vont s’évanouir, ou quitter la salle. C’est inévitable. Sa voix est amène pourtant, mais la tension électrique. Que va-t-il se passer ? Il y a comme une bombe prête à péter. Ça va détoner.
« Purgatoire ». Ça commence. Non. Que se passe-t-il ? Rien. Ça ne détone pas, ça déconne. La mécanique se grippe, déraille. Rien ou presque. Les gestes se répètent. Les propos hâchés restent inachevés. On patine. De paroles électropercutées en chorégraphies samplées, ça tourne en musique électro et comme un vieux disque rayé.
Pour de l’avant-garde (ironiquement ?) autoproclamée, ça rappelle un peu le théâtre de l’absurde. Qu’en retrouve-t-on ? La déconstruction, le thème de l’attente, le goût de l’échec et de la logorrhée. Avec Ionesco, des chaises vides envahissaient la scène. Ici, le décor sera précocément désinstallé. La pièce se retire petit à petit tandis que les mots envahissent l’espace. Ça a un peu le goût du déjà-vu. En attendant, Beckett l’avait déjà fait.
En attendant, tout est mis à bas. Le spectacle. L’histoire. Le sens. Même les comédiens qui jouent. On le sentait bien que ça craignait dans le coin ; ça ressemblait à un univers hostile, urbain. Du genre où rien ne marche sauf ceux qui jouent. Mais ce qui se joue, c’est ce qui aurait dû se jouer.
Le plateau se métamorphose en scène virtuelle, en jeu vidéo, on imagine, ou en territoire yamakuzi. Les comédiens font les amateurs, puis ils montrent leur talent, leur bravoure, dans des tirades étourdissantes de brio, d’humour et de musicalité. D’un coup, l’un nous invite à passer au bar pour un vrai-faux entracte. Certains sortent, d’autres résistent. Le spectateur est déboussolé. Ça y est, ça marche, c’est enclenché. Mais au purgatoire, la question demeure : comment s’en sortir ?
À piquer, à picorer, en attendant de trouver une solution : des tirades baroques à la Baer, jouées comme improvisées, des trouvailles visuelles et sonores, des chorégraphies, de l’humour, et surtout du risque. Un spectacle engagé, à la fois périlleux et maîtrisé. Une écriture qui s’étire, sait dire et lire dans nos pensées. C’est impressionnant souvent : un univers et un imaginaire qui cherchent à se déployer et en même temps à se ramasser.
Au bout du compte, de deux heures trente – et au purgatoire, combien de temps pensiez-vous y passer ? –, la proposition de Lacoste est acceptée : au théâtre, il s’agit de tenter. C’est avant tout cela. La réussite, c’est d’engager à essayer. Voilà comment s’en sortir. Suivre la voie que Lacoste a tracée. ¶
Éric Demey
Purgatoire, de Joris Lacoste
Le Labo • 29, rue des Récollets • 75010 Paris
Tél. : +33 (0) 1 55 26 00 11
Télécopie : +33 (0) 1 40 35 05 25
Mise en scène : Joris Lacoste
Avec : Stéphanie Béghain, Giuseppe Chico, Rodolphe Congé, Frédéric Danos, Gaspard Guilbert, Barbara Matijevic, Gwenaël Morin
Dramaturgie : Jeanne Revel
Son : Manuel Coursin et Olivier Renouf
Lumière : Caty Olive
Scénographie : Nicolas Couturier
Régie son : Laurent Courtaud
Régie générale : Bruno Faucher et Laurie Barrère
Photo : © D.R.
T.N.T.-Manufacture de chaussures • 226, boulevard Albert-Premier • Bordeaux
Du 28 au 30 novembre 2007à 20 h 30
Durée : 2 h 30
Tarif unique : 10 €