« Quand je pense qu’on va vieillir ensemble », des Chiens de Navarre, les Subsistances à Lyon

Quand je pense qu’on va vieillir ensemble © P. Lebruman

Thérapie de groupe

Par Élise Ternat
Les Trois Coups

Il faut bien le reconnaître, « Une raclette », précédent spectacle de la compagnie les Chiens de Navarre n’avait laissé personne indemne. Que l’on adule ou que l’on exècre l’incontrôlable meute, chacune de ses créations n’en demeure pas moins un objet théâtral pour le moins iconoclaste. Preuve en est avec ce dernier opus de Jean‑Christophe Meurisse, « Quand je pense qu’on va vieillir ensemble ».

Développement personnel, coaching, groupes de parole : autant de phénomènes qui habitent la rhétorique et le quotidien de l’homme et de la femme contemporains moyens et dont les Chiens de Navarre se sont ici emparés. Comme dans chacune de leur création, le mode opératoire reste inchangé : à l’absence de texte préexistant vient s’adjoindre une écriture collective. De même, le travail d’improvisation et le langage du groupe sont la marque de fabrique de cette compagnie. Une raclette s’inspirait lointainement du Livre de l’intranquillité de Fernando Pessoa. Ici, l’œuvre invisible en toile de fond est l’ouvrage de Stig Dagerman, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. Il en résulte selon les termes de Jean‑Christophe Meurisse un étonnant « miniguide pour réussir à faire face lorsqu’on a besoin de se faire aider ».

La scénographie consiste ici en une atmosphère de désolation : un sol recouvert de terre battue, où figurent divers objets comme abandonnés depuis longtemps (baignoire, vélo, tambour, palettes…). Cet univers postapocalyptique annonce d’emblée un véritable champ des possibles. En effet, durant près d’une heure quarante, les huit comédiens mettent à mal les modèles de réussite valorisés par la société actuelle. Pour cela, ils poussent dans leurs derniers retranchements les pulsions, les modes d’humiliation qui rythment les relations entre individus, de manière outrancière, subversive, transgressive ou simplement méchante, provoquant hilarité générale et fous rires en cascade.

Ils vont loin, trop loin ? Difficile de déterminer où est la limite, tant la meute semble impossible à stopper. Ici, le rythme diffère quelque peu de celui d’Une raclette puisque le groupe est toujours présent. Mais il alterne avec des séquences où ce sont des duos de personnages qui évoluent dans des moments de vie (plus ou moins) quotidienne ou encore des scènes de fin du monde. Doit‑on voir dans la tonalité mélancolique qui s’en dégage une référence à l’œuvre de Dagerman ? Les divers moments sont articulés par d’habiles glissements : d’une étrange partie de pétanque entre individus recouverts de sang, on débouche sur une succession de séances de coaching plus impensables les unes que les autres. Entraîneurs et conseillers insupportables, situations clichés au point d’en être kafkaïennes, incursion permanente de l’absurde et du graveleux (la scène de la princesse entourée de son oiseau et de son lapin est à cet égard redoutable) sont autant de fils conducteurs pour cette création, où l’influence de l’improvisation est forte. Un peu trop peut-être, car là où le jeu des comédiens et le caractère spontané des scènes possèdent un réalisme peu commun, le caractère répétitif de quelques séquences de coaching provoque certes l’hilarité, mais ne renouvelle pas vraiment le discours. Le rythme pâtit de ces quelques longueurs.

Cependant, les caractéristiques de cette pièce très esthétique d’un point de vue formel, parfaitement maîtrisée dans ses articulations et jusqu’au-boutiste dans le jeu des interprètes, composent un moment jubilatoire. En cela, le théâtre des Chiens de Navarre semble définitivement cathartique, irrévérencieux et par là même salvateur. 

Élise Ternat


Quand je pense qu’on va vieillir ensemble, de Cie les Chiens de Navarre

Cie les Chiens de Navarre • 35 bis, rue de Reuilly • 75012 Paris

Télécopie + 33 (0)1 44 84 72 81

Mise en scène : Jean‑Christophe Meurisse

Avec : Caroline Binder, Céline Fuhrer, Robert Hatisi, Manu Laskar, Thomas Scimeca, Anne‑Élodie Sorlin, Maxence Tual, Jean‑Luc Vincent

Création lumière et régie générale : Vincent Millet

Régie plateau : Yvon Julou

Création son : Isabelle Fuchs

Photo : © P. Lebruman

Administration, production, diffusion : Antoine Blesson, Claire Nollez assistés par Léa Serror

Production : le Grand Gardon blanc / Chiens de Navarre

Coproduction : les Subsistances, Lyon ; C.I.C.T.-Théâtre des Bouffes-du‑Nord, Paris ; Maison des arts de Créteil ; le Parapluie, centre international de création artistique, Aurillac ; Parc de la Villette (résidence d’artistes 2012) ; T.A.P., scène nationale de Poitiers, A.R.C.A.D.I. (Action régionale pour la création artistique et la diffusion en Île‑de‑France)

Avec le soutien du fonds S.A.C.D. théâtre

Les Subsistances • 8 bis, quai Saint‑Vincent • 69001 Lyon

Site du théâtre : www.les-subs.com

Réservations : 01 78 39 10 02

Du 19 février au 23 février 2013 à 20 heures

Durée : 1 h 40

Tarifs : 15 € | 12 € | 7,50 €

Tournée :

  • Du 26 février au 2 mars 2013 à la Maison des arts de Créteil
  • Du 7 au 8 mars 2013 au Théâtre de Vanves, festival Artdanthé
  • Du 14 au 25 mai 2013 au Théâtre des Bouffes‑du‑Nord, Paris
  • Août 2013 au Festival d’Aurillac

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories