« Quand le diable s’en mêle », d’après Georges Feydeau, château de Grignan

« Quand le diable s’en mêle » © Nathalie Hervieux

Drôle de farce

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

Au château de Grignan, L’Entêtement amoureux, compagnie animée par Didier Bezace, présente « Quand le diable s’en mêle ». À revoir, mais ailleurs.

Autant le dire d’emblée : cet article sera de pur parti pris, car j’adore Didier Bezace.

Cet homme généreux, au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, a su pendant quinze ans reprendre le flambeau de ces pionniers de la culture pour tous que furent Gabriel Garran et Jack Ralite. Cet acteur de cinéma magnifique a une forte présence et va parfois jusqu’à irradier les plus indigestes des séries TV. Ce metteur en scène discret, surtout, qui, depuis La jeune lune tient la vieille lune toute la nuit dans ses bras (son premier forfait collectif au Théâtre de l’Aquarium qui jouxtait alors celui d’Ariane Mnouchkine dans le bois de Vincennes), en passant par Pereira prétend, formidable adaptation du roman de Tabucchi, la Femme changée en renard, la Version de Browning, Conversations avec ma mère, ou encore Que la noce commence, m’a toujours époustouflé tant l’inventivité souvent pleine d’humour et l’excellence du jeu d’acteur se passent chez lui de tout recours à de dispendieux moyens scénographiques superflus.

Est-il besoin de le dire, je me faisais une joie de découvrir sa dernière création, dans le cadre merveilleux du château de Grignan, qui plus est, tout en me demandant bien ce que la marquise, Feydeau et Bezace pouvaient avoir en commun. Malgré une superbe nuit étoilée et en dépit d’une déjà ancienne pratique de Feydeau, Didier Bezace m’a laissé sur ma faim. Les trois courtes pièces farcesques au menu de la représentation (Léonie est en avance, Feu la mère de Madame, On purge bébé), œuvres comiques et faciles, n’ont pas plus d’intérêt que ce que Dario Fo appelait malicieusement contorni, « garnitures » en français, quand on attend impatiemment le plat de résistance. Une grossesse nerveuse, un décès annoncé à tort et une constipation provoquant une faillite commerciale, tels sont les hors-d’œuvre d’un repas théâtral peu roboratif.

Revenons d’abord à Mme de Sévigné. Bien qu’elle n’y soit pour rien, le cadre de son château ne sert pas le spectacle. Un simple praticable mobile et à tiroirs est l’unique décor. Petite île perdue dans l’océan de la cour du palais. Les longs parcours des entrées et sorties des comédiens ralentissent le rythme. Feydeau se joue dans des appartements bourgeois, pas dans les couloirs et les vastes salles d’une demeure aristocratique.

Le choix de Feydeau, maintenant. Bezace l’apparente, au nom de la guerre des sexes qui sévit dans les trois pièces qu’il a sélectionnées, à son contemporain Strinberg, un Strinberg qui ferait rire. Diable ! Fallait-il vraiment à Feydeau un parrain de cette dimension pour donner du volume à son théâtre ? C’est un peu trop pour accompagner trois œuvrettes farcies de jeux de mots usés et pauvres en tant que situations dramatiques dont on sait qu’elles réjouissent surtout un public de dentistes et de notaires malgré les acrobaties théoriques de certains dramaturges modernes cherchant à leur trouver de profondes justifications.

Et Didier Bezace dans tout ça ? Je l’ai souvent perdu de vue pendant le spectacle. Contenue son ironie pétillante, retenue sa cruauté burlesque, amoindrie sa tendresse subtile, affadi son humanisme poétique ! Seuls, sous sa direction, les comédiennes et les comédiens réussissent à maintenir l’attention. Tous chargés de plusieurs rôles agissent en virtuoses, avec une mention spéciale pour Clotilde Mollet, Thierry Gibault et Philippe Bérodot.

À tête reposée, et avec le désir de conserver ma passion pour le travail théâtral de Didier Bezace, il est important de dire que Quand le diable s’en mêle vaudra tout de même dans les prochains mois le coup d’être vu. Mais dans un théâtre à l’italienne, où la proximité avec les spectateurs permettra de retrouver ce que Feydeau peut encore nous apporter : le plaisir quasi sportif d’une dramaturgie à l’alacrité enjouée, les délices d’une interprétation à l’énergie loufoque et le bonheur légitime d’un contenu, certes en partie caduc, mais détendant l’esprit le temps d’une soirée. 

Michel Dieuaide


Quand le diable s’en mêle, d’après trois pièces de Georges Feydeau (Léonie est en avance, Feu la mère de Madame, On purge bébé)

Adaptation et mise en scène : Didier Bezace

Avec : Philippe Bérodot (le Diable, Mme Virtuel, Joseph, Toto), Thierry Gibault (M. de Champrinet, Bastien Follavoine), Ged Marlon (Lucien, M. Chouilloux), Clotilde Mollet (Mme de Champrinet, Julie Follavoine), Océane Mazas (Clémence, Yvonne, Horace Truchet), Lisa Schuster (Léonie, Annette, Mme Chouilloux), Luc Tremblais (Toudoux, Rose)

Collaboratrice artistique, son et accessoires : Dyssia Loubatière

Scénographies : Jean Haas

Lumières : Dominique Fortin

Costumes : Cidalia da Costa, assistée d’Anne Yarmola, Sylvie Barras et Hafid Bachiri

Maquillage et coiffure : Cécile Kretschmar, assistée de Sophie Niesseron

Chorégraphie : Cécile Bon

Régie générale : Léo Thévenon

Stagiaire habilleur : Galaad Thévenard

Administration : Karinne Méraud

Atelier de construction : Jipanco

Salle de répétitions : Lilas en scène

Photos : © Nathalie Hervieux

Les pots de chambre ont été fabriqués par la poterie du château à Grignan

Production : Les Châteaux de la Drôme, établissement public du département de la Drôme, L’Entêtement amoureux-Cie Didier‑Bezace

Site : http://www.ksamka.com/ksamka-production–didier-bezace–quand-le-diable-s-en-mele.php

Coproduction : Productions-Groupe Michel-Boucau

Château de Grignan • B.P. 21 • 26230 Grignan

Site : www.chateaux.ladrome.fr

Réservations : 04 75 91 83 65, du lundi au vendredi de 11 heures à 12 h 30 et de 14 heures à 18 heures et le samedi, s’il y a représentation le soir, de 14 heures à 17 heures

Représentations : les 8, 11, 12, 13, 14, 15, 18, 19, 20, 21, 22 août 2015 à 21 heures

Durée : 2 h 15

Tarifs : de 20 € à 8 €

À propos de l'auteur

Une réponse

  1. Bonjour,
    Bien que n’ayant pas vu le spectacle, j’abonde dans votre sens concernant l’architecture du château de Grignan se prêtant peu effectivement aux lieux petits bourgeois des pièces de Feydeau.
    J’abonde encore quand vous parlez de Didier Bezace et de ses multiples talents, j’en suis moi aussi un fan. Mais encore une fois n’ayant pas vu ses mises en scène de ce spectacle Feydeau je ne peux les juger.
    En revanche, je vous trouve très injuste quand vous parlez de ces pièces comme des « oeuvres comiques et faciles ». Non, non, Feydeau est un immense auteur qui a réinventé tous les codes de la comédie et ces petites pièces (petites par leur durée) sont des chefs d’oeuvre. Rien n’est facile là-dedans, bien au contraire. Ce n’est pas parce qu’une pièce est légère qu’elle n’est pas complexe à écrire. Dites qu’elles semblent toutes simples, oui, car la simplicité est affaire de grand talent, mais faciles, non. Tout ce qui arrive n’est pas prévu et les surprises sont un ressort dramatique puissant. J’ajoute que les caractères sont dessinés d’une manière féroce et lucide qui force l’admiration.
    J’espère que votre jugement sera corrigé par une nouvelle représentation du spectacle dans un lieu plus approprié.
    Bien cordialement

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