Faut vivre !
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
La pièce imaginée à quatre mains par Benoît Lambert, le nouveau directeur du C.D.N. Dijon-Bourgogne, et l’auteur Jean‑Charles Massera pourrait tenir entre une question, Que faire ?, et une réponse, Faut vivre !, entre Lénine et Mouloudji… Entre les deux, vaste programme, des siècles de philosophie et d’histoire, la vie tout court, brève et fragile, et une merveilleuse aventure de théâtre dont le spectateur sort ébloui.
L’écriture de Jean‑Charles Massera, pourtant, ne révèle pas de prime abord sa théâtralité : faite d’aphorismes grinçants, elle arpente les territoires arides de la philosophie, de la politique et de la sociologie, sans souci d’intrigue ni de personnages. Elle dénonce et pourfend aussi les travers de la société et de nos contemporains… Qu’à cela ne tienne ! Voilà justement ce qui passionne Benoît Lambert : partir du sens pour créer de la vie sur le plateau, faire précisément l’inverse de ce que préconise la traditionnelle répartition des rôles entre auteur et metteur en scène, rendre vivante la pensée, et compréhensible aussi. Ce qui fait qu’en sortant, on se sent diablement plus intelligent qu’en entrant dans la salle de spectacle. Mais, tout en se jouant, sans rien qui pèse ou qui pose, avec au contraire un détachement, une ironie, un irrespect salvateur, un humour dévastateur… et explosif !
On part donc du « Que faire ? » de Lénine, texte fondateur… Mais la manière de ce commencement vaut à elle seule le détour… Au lever de rideau, un grand plateau vide avec, dans un coin, une cuisine genre C.A.M.I.F. indémodable, meubles en bois, table en Formica. Dans cette cuisine, un couple de sexagénaires plutôt verts va passer à table. Chaque geste est fruit de l’habitude, chaque chose à sa place. Sauf qu’un petit livre arrivé Dieu sait comment (mais Dieu n’a pas grand chose à dire dans l’histoire comme nous le verrons) dans le cabas de la ménagère va monopoliser son attention et jouer les grains de sable. Plus rien d’autre n’a d’intérêt.
Ce livre, ce sont les Méditations métaphysiques de Descartes, et ce qui va servir de détonateur, c’est l’injonction du philosophe de passer au crible, par souci de liberté, toutes les anciennes convictions…
Intelligent, jubilatoire, nécessaire
L’homme sort donc tous les livres et les apporte dans le salon, et les voilà partis à trier le bon grain de l’ivraie, ce qu’on garde et ce qu’on jette. Y passent, pêle-mêle, la Révolution française, avec la Marseillaise, Robespierre, Danton, les droits de l’homme (ça, finalement, on garde), et puis la révolution tout court, Lénine (on jette, finalement), Marx, on garde (et de ranger le gros volume rouge dans le placard de la cuisine), les totalitarismes si affreux qu’on n’arrive pas à les prononcer… Avec discussions âpres, fous rires et pas de deux de Martine Schambacher (dirigée par la chorégraphe Véronique Ros de la Grange) sous l’œil attendri de François Chattot… Et puis, l’art, forcément contemporain, qui fournit le prétexte à une scène de mime complètement déjantée… On garde, c’est trop drôle, et puis de l’art surgit l’espoir… Et les voilà partis à batailler sur l’amour, à réinventer Nina Hagen, à refaire Mai 68 (avec l’O.R.T.F., sous les pavés la plage…).
Bref, mine de rien, ces deux-là se parlent pour de vrai, ils refont le monde, et leurs années s’envolent. Ils transfigurent le quotidien et, tout en jetant les livres, symbole du vieux monde, lancent ici un bel hommage à la culture, à la pensée, convoquant Deleuze, Godard, Mouloudji, rient à cœur joie. Bref, ils font leur révolution et nous appellent à la faire à notre tour, à secouer les évidences, à balayer devant notre porte, à faire l’amour pas la guerre… Quoique… quelques cocktails Molotov soigneusement préparés annoncent des lendemains qui chantent et qui pètent !
Tout cela est drôle, féroce, magnifiquement interprété par des comédiens généreux d’une vitalité incroyable, qui dansent, chantent (et ce sont des moments intenses d’émotion tout à coup), sautent, courent, font les fous comme s’ils avaient vingt ans, font souffler sur le théâtre un vent de révolution, la vraie, celle qui n’épargne rien, ni personne, sauf… qu’on sent en permanence la tendresse du metteur en scène pour ses personnages, ses interprètes et les idées ! Parce qu’au bout du compte, faut vivre, et ça vaut le coup ! ¶
Trina Mounier
Que faire ? (le retour), de Jean‑Charles Massera et Benoît Lambert (& Guests)
Conception et mise en scène : Benoît Lambert
Avec : Martine Schambacher et François Chattot
Scénographie et lumières : Antoine Franchet
Costumes : Violaine L. Chartier
Création sonore : Yann France et Jean‑Marc Bezou
Travail chorégraphique : Véronique Ros de la Grange
Travail vocal : Pascal Sangla
Assistant à la mise en scène : Maxime Contrepois
Régie générale : Jean‑Pierre Dos
Régie lumières : Laurie Salvy
Régie son : Sam Babouillard
Régie plateau : Hervé Faisandaz
Construction du mobilier : François Douriaux
Construction décor : Prélud
Photo : © Vincent Arbelet
Production : Service public et Théâtre Dijon-Bourgogne-C.D.N.
Théâtre de la Croix-Rousse • place Johannes-Ambre • 69004 Lyon
Site : http://www.croix-rousse.com
Du 15 au 26 janvier 2013 à 20 heures
Durée : 1 h 15
Tournée :
- 30 et 31 janvier, 1er février 2013, La Comédie, C.D.N. de Saint-Étienne
- 6, 7 et 8 février 2013 : Le Fracas, C.D.N. de Montluçon
- 12 et 13 février 2013 : espace des Arts, scène nationale de Chalon-sur-Saône
- 21 au 27 février 2013 (relâche le 25) : Théâtre Saint-Gervais de Genève
- 5 au 10 mars 2013 : Théâtre Kléber-Meleau de Lausanne
- 14 et 15 mars 2013 : Scène nationale 61 d’Alençon
- 19, 20 et 21 mars 2013 : Le Volcan, scène nationale du Havre
- 26 et 27 mars 2013 : Théâtre du Rayon-Vert à Saint-Valéry-en-Caux
- 2 et 3 avril 2013 : Amis du théâtre populaire d’Aix-en-Provence
- 10 et 11 avril 2013 : Théâtre des 4-Saisons à Gradignan
- 17, 18 et 19 avril 2013 : espace Malraux, scène nationale de Chambéry et de la Savoie
- 24 et 25 avril 2013 : Arc en scènes, centre neuchâtelois des arts vivants de La Chaux-de-Fond
- 14 et 15 mai 2013 : Le Granit, scène nationale de Belfort
- du 1er au 7 juin 2013 (relâche le 3) : Théâtre du Nord, C.D.N. de Lille
- 12 au 22 juin 2013 (relâche le 17) : La Colline, Théâtre national à Paris