« Qui som ? », cie Baro d’Evel, Cour du Lycée Saint-Joseph, Festival d’Avignon 2024

Qui-Som_Baro-d’Evel © Christophe-Raynaud-de-Lage

Sortir la tête du seau

Par Laura Plas
Les Trois Coups

« Qui som ? » de la cie Baro d’Evel alterne moments métaphysiques drolatiques et élans chorégraphiques collectifs pour nous emporter dans un élan forain. Le spectacle nourri d’influences ne prétend pas révolutionner le monde théâtral, mais ouvre les portes du In à tout le monde. Chouette !

« Pff, on a déjà vu », « Chez Maguy Marin », « Chez Joseph Nadj ». Stop, mes chers collègues. Bien sûr, Qui som ? rappelle d’autres spectacles splendides, des auteurs fabuleux, mais on peut y voir justement une forme de qualité et d’humilité. Et de toute façon, on ne balaye pas l’histoire, on la poursuit différemment. Car en définitive pourquoi faudrait-il toujours faire neuf pour bien faire ?

Et même ici très bien, comme le montre d’ailleurs la joie des spectateurs. On est emporté, on rit, alors même que la fin du monde semble avoir eu lieu sur scène. L’humanité y erre esseulée ou en meute, au milieu de la poussière et des détritus. Le plateau est vide. Ne subsiste qu’une sorte de bunker chevelu évoquant aussi bien une montagne de déchets que le pelage d’un Kong d’où l’humain, surgissant, apparaîtrait minuscule. Étrangement organique, cet élément semble prendre vie, pour dégorger dans un haut le cœur les déchets de l’humanité. Cette trouvaille scénographique subit d’ailleurs des métamorphoses passionnantes qu’on vous laisse découvrir.

Intemporel

Dans son ensemble, le spectacle est à l’image de cette scénographie : si on devine une réflexion écologique, jamais on ne cède à la tentation d’un clin d’œil facile à l’actualité. Au contraire, le spectateur découvre des figures, comme celle d’un orateur leader qui baragouine dans un grommelot anglosaxon la langue des winners, ou celle encore d’un Père Noël mâtiné de Pozzo. Des images, des saynètes nous donnent à rêver, à penser. Par exemple, on sourit face à l’écroulement d’une tour phallique. On s’attendrit devant les apparitions d’un chien que Camille Decourtye aide plutôt que de l’asservir… Mais on ne reçoit pas de messages.

Et donc oui, on pense à Beckett, mais à un Beckett plus tendre et moins résigné. Les clowns hantent le plateau : deux jumeaux barbus s’assemblent et se dissemblent, des femmes araignées surgissent. On se souviendra évidemment du beau duo que forment Blaï Mateu Trias et Camille Decourtye : le grand maladroit et la chanteuse menue. Avec des questions, que seuls les clowns et les enfants, en leur âge métaphysique, se posent, ils parviennent à livrer une partition d’une grande poésie. Dans chaque interstice, ils font entendre le vide et la déréliction.

Faire corps

Ces temps-là laissent place à la danse, comme si les mots avaient prouvé leur vanité et ne pouvaient subsister que sous la forme du chant. On y fait corps dans tous les sens du terme. On y donne le sentiment réconfortant que le collectif peut exister, que l’action est encore possible. Pour preuve une magnifique scène finale où un geste individuel symboliquement initié par une enfant devient choral et rend ainsi possible ce qui ne le semblait pas, quelques minutes auparavant. Ensuite, la pièce refuse de nous renvoyer à nos foyers, chacun de notre côté. Elle nous invite à poursuivre l’élan ailleurs que dans la salle de spectacle.

Qui-Som_Baro-dEvel-©-Christophe-Raynaud-de-Lage

La compagnie Baro d’Evel s’est constituée d’artistes divers, aux horizons artistiques différents, mais ici chacun a sa place : le clown, l’acrobate, le danseur. On se souviendra autant des poèmes beckettiens que de cette scène inaugurale où la tête dans le seau (dans des poteries), les artistes comme aveuglés et privés de visages hantent le plateau. On se souviendra d’une vague monumentale, autant que des petits pas minuscules d’un chien, lui-même minuscule. Et puis tous ces interprètes nous prouvent que l’on peut être ensemble avec ses différences. C’est la succession de leurs prouesses qui fait sens, comme le flux donne sens au reflux et le plein au vide, la systole succède à la diastole d’un cœur qui bat. Une belle leçon humaine. 🔴

Laura Plas


Qui som ?, de la cie Baro d’Evel

Site de la compagnie
Conception et mise en scène : Camille Decourtye, Blaï Mateu Trias 
Avec : Lucia Bocanegra, Noëmie Bouissou, Camille Decourtye, Miguel Fiol, Dimitri Jourde, Chen-Wei Lee, Yolanda Sey, Julian Sicard, Marti Soler, Maria Caroline Vieira, Guillermo Weickert, Blaï Mateu Trias 
Durée : 2 h 30
Dès 8 ans
spectacle en catalan, français, espagnol, portugais, chinois

Cour du Lycée Saint-Joseph • 62, rue des Lices • 84000 Avignon
Du 3 au 14 juillet 2024 (sauf le 7), à 22 heures
De 10 € à 30 €
Réservations : 04 90 14 14 14 ou en ligne

Dans le cadre du Festival d’Avignon, 78édition du 29 juin au 21 juillet 2024
Plus d’infos ici

Tournée ici :
• Les 19 et 20 juillet, dans le cadre des Nuits de Fourvière, à Lyon
• Du 2 au 4 octobre, au Théâtre 71, scène nationale, avec Les Gémeaux scène nationale de Sceaux et Théâtre de Châtillon, à Malakoff
• Les 11 et 12 octobre, Théâtre de Liège (Belgique)
• Les 30 et 31 octobre, Les Halles de Schaerbeek, à Bruxelles (Belgique)
• Du 13 au 15 novembre, au Tandem, scène nationale de Douai
• Du 2 au 15 décembre, au Théâtre de la Cité, avec le Théâtre Garonne, à Toulouse
• Les 10 et 11 janvier 2025,  Le Parvis, scène nationale, à Tarbes
• Du 24 janvier au 1er février,  MC93, à Bobigny
• Du 18 au 22 février,  Comédie de Genève (Suisse)
• Du 19 au 21 mars,  Théâtre Dijon-Bourgogne
• Les 28 et 28 mars, dans le cadre du festival Spring, Centre dramatique national de Normandie-Rouen
• Les 1er et 2 avril, dans le cadre du festival Spring,  Le Volcan scène nationale, au Havre
• Les 24 et 25 avril,  Équinoxe scène nationale, à Châteauroux
• Du 6 au 8 mai,  Scène nationale du Sud-Aquitain, à Biarritz
• Les 14 et 15 mai,  Le Grand R , à La Roche-sur-Yon
• Du 4 au 11 juin, dans le cadre des Nuits de Fourvière et du Festival Utopistes, Les Célestins, Théâtre de Lyon

À découvrir sur Les Trois Coups :
« Le Sort du dedans », de Baro d’Evel, par Laura Plas
« Falaise », de Baro d’Evel, par Léna Martinelli

Photos : © Christophe Raynaud de Lage

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