Maux dits
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Dans une lecture simple mais touchante, adaptée de son dernier roman, Richard Bohringer est mis en scène par Romane Bohringer, au Théâtre de l’Atelier. Si « Quinze Rounds » est le récit d’un combat, d’un survivant, c’est aussi une déclaration d’amour à la vie, à sa fille et au public.
De sa voix éraillée, Richard Bohringer nous a toujours émus. « Ses rayures, les cicatrices de la vie », il les a magnifiquement écrits et chantés. Sans parler de l’interprétation magnifique de rôles inoubliables. À 82 ans, riche de ce vécu, il ne se présente certainement pas comme un poète maudit, mais il livre un récit vibrant de mille maux.
Coups de blues…
Après avoir passé sa vie sur les routes, le voici là, face à nous, dans son fauteuil, à lire les mots de son roman sur un pupitre. De l’enfance blessée aux frasques de la jeunesse, des succès qui ont jalonné sa carrière, de la découverte de l’Afrique à la passion de l’écriture, Richard Bohringer se raconte sans censure mais avec poésie : l’héroïne, l’alcool, les scandales et sa sensibilité à fleur de peau : « J’ai brûlé ma vie jour et nuit » et « Je suis déjà mort deux fois ». Arrivé au dernier round, il fait le bilan, avec humilité : « Être un humain meilleur, ça prend toute une vie ».
Déjà, petit il aimait se carapater dans les champs de colza du Val d’Oise. Heureusement, Mamie veillait sur l’orphelin, recueilli, abrité, chéri, le défendant toujours bec et ongles face à l’adversité car, « des guenilles à la soie », la vie de Richard Bohringer n’a pas été un long fleuve tranquille : « J’ai raclé le fonds », raconte-t-il. La colère a longtemps été son moteur. Celle de Johnny Parker, entre autres, lui a donné du sens, l’a mené sur la bonne voie, celle de l’art, grâce auquel il a très tôt trouvé un moyen d’expression. Bien avant l’écriture de romans, il s’est essayé à la poésie mise en musique, comme adepte du slam.
« Je voulais tout. J’étais bon à rien » : se considérant peu légitime, Richard Bohringer a longtemps été « un écrivain qui n’écrivait pas ! ». Pourtant, quel poète ! Ciselée, son écriture est syncopée, souvent en trois temps, limpide et imagée : « Coureur de savanes, enjambeur d’océans », on sent les kilomètres parcourus. Ses fuites éperdues se sont transformées en périple au long cours.
Il nous emmène avec lui au large, il nous embarque. Sa gouaille trempée dans le jazz nous touche en plein cœur. Pendant une heure qui file à toute allure, Richard Bohringer partage quelques-unes des « rencontres colorées, ces fraternités d’instinct ». Hommage aux amitiés flamboyantes mais surtout à tous ces moments, au cul des camions ou dans les coulisses, avec les « compagnons de l’ombre », ceux qui rendent tout possible, des tournées aux régies.
… et coups de cœur
Lui, « il s’est jeté dans la lumière, à corps perdu ». Autre passion : les femmes, mais « les gonzesses, tu picoles pour les aborder, tu picoles pour les oublier ». « Mendiant de câlins », sa rencontre avec « la blonde », après Marguerite, la mère de Romane, sont déterminantes. Sa fille lui révèle le théâtre et l’emmène encore et encore sur les routes, tâter du public, comme à L’Atelier, déjà, quand ils ont joué J’avais un beau ballon rouge, d’Angela Dematté, mise en scène par Michel Didym.
Là, c’est chacun son tour, puisqu’elle joue ensuite dans le Bel Indifférent. C’est elle, toujours, qui le met en scène, plante le décor, l’installe avec tendresse : « Quel homme tu es. Quelle vie tu as eue. Comme j’ai de la chance que tu sois mon père. Au fil des pages, je te découvre encore. Le diable et le bon dieu. (…) On va remonter sur scène. Ensemble. Enfin pas tout à fait ensemble. Moi je vais t’accompagner. Te regarder. Me délecter. (…) Toi et tes mots. Toi et ta voix. Toi et « ta putain de vie à la gueule de chien ».
Une invitation à embrasser la vie avec intensité
Entre chaque round, Romane Bohringer a donc conçu une forme simple : une lecture rythmée par quelques images récentes, très belles, mais aussi de précieuses archives, ainsi que quelques notes. On regrette le rideau baroque, qui cache sans doute le spectacle suivant, et peut-être l’absence de musiciens sur scène. Mais l’ensemble est bien mené, entre fulgurances stylistiques et respirations. Le temps de Romane Bohringer est compté, mais il a toujours le tempo. Entre chaque séquence, la main bat la mesure et, malgré le souffle court, ses punchlines font mouche. Sa fille a su se mettre au diapason, avec délicatesse et sans afféterie.
À la fin de ses quinze rounds forts et poignants, l’émotion est à son comble. Debout, le public salue l’artiste. Reconnaissant pour les cadeaux de la vie, Richard Bohringer a su transformer ses maux en mots d’une sincérité touchante, pour témoigner et transmettre : « J’ai vu, j’ai reçu, j’ai rendu et le vent me pousse ». Oui, bon vent l’artiste ! 🔴
Léna Martinelli
Quinze rounds, de et avec Richard Bohringer
Adapté du roman paru chez Flammarion en 2016
Mise en scène : Romane Bohringer et Christophe Perton
Durée : 1 heure
Théâtre de l’Atelier • Place Charles Dullin • 75018 Paris
Du 17 octobre au 12 novembre 2023, mardi, mercredi, vendredi et samedi à 19 heures, dimanche à 15 heures
De 10 € à 39 €
Réservations : en ligne ou au 01 46 06 49 24
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Traîne pas trop sous la pluie…, de Richard Bohringer, par Sheila Louinet