De beaux discours
Par Anne Cassou-Noguès
Les Trois Coups
La pièce met en scène Jaurès dans les dernières années de sa vie. Elle nous présente ses amis et ses compagnons de route, parmi lesquels Charles Péguy (avant qu’il ne devienne son ennemi juré) et Ève Jouard. Elle nous donne surtout à entendre de nombreux discours de l’orateur et homme politique, chantre de la laïcité et du pacifisme.
Le spectacle a tout pour plaire. Son titre d’abord. En ce mois de novembre terrifiant, à l’heure où les théâtres et les salles de concert peinent à attirer un public inquiet, nous sommes tous à la recherche de quelqu’un qui puisse « rallumer tous les soleils », nous sommes tous conscients de la nécessité de combattre. De plus, Jaurès maîtrise parfaitement les rouages de la rhétorique, et ses discours sont magnifiques. On se réjouit de les entendre, d’en percevoir le rythme et l’énergie, que l’écrit ne rend pas toujours. Quand le spectacle commence, nous sommes déjà presque conquis. Et le vieux Gavroche qui nous accueille et nous harangue, qui nous replonge dans l’aube du xxe siècle, nous trouve séduits et prêts à nous laisser bousculer.
La scénographie est très dépouillée. Trois tables définissent trois espaces modulables. Les comédiens font le reste. En soi, c’est formidable. C’est revenir aux fondamentaux, au jeu de l’acteur, à l’humanité, loin des pièces qui dissimulent les failles des interprètes ou du texte derrière des dispositifs aussi coûteux que complexes. Le problème, c’est que les comédiens sont inégaux. Alexandre Palma Salas (Charles Péguy) rend compte des tourments du jeune homme par des gesticulations et un débit de voix si rapide que l’on ne comprend pas ses discours, ni ce qui l’oppose à Jaurès. Milena Vlach, metteur en scène, dirige les acteurs de manière à ce qu’ils ressemblent aux personnes réelles qu’ils incarnent. Ainsi, Éric Wolfer est Jaurès. On reconnaît dans ses postures, ses mouvements de bras, ses roulements d’yeux le parlementaire socialiste que l’on a vu sur des dessins ou des photographies. Mais est-ce bien nécessaire ? En effet, cette conformité avec les personnages du siècle dernier parasite parfois notre écoute et notre attention parce que certains tics, certaines intonations, certaines attitudes sont datés et quelque peu ridicules. Le public est-il incapable d’adhérer à un dispositif moins réaliste ? C’est d’autant plus dommage que la mise en scène est souvent inventive, joue sur les ombres et les symboles, et fait ainsi confiance à son public pour combler les vides, rêver et participer pleinement au spectacle.
Déception aussi quant aux discours de Jaurès. C’était un être d’exception, un homme de tous les combats, certes, mais à vouloir rendre compte de toutes les colères, de tous les enthousiasmes du grand homme, on se perd. Les quelques mots prononcés sur la laïcité nous font vibrer. On apprécierait en entendre davantage sur la position de Jaurès, athée, dont la fille est baptisée selon le souhait de sa femme. On prendrait plaisir à approfondir la complexité de cette position que l’on croyait si simple il n’y a pas si longtemps encore et qui est la liberté, liberté de culte, liberté de penser… Mais non, on est déjà passé à la lutte contre les patrons, avant de se précipiter vers le pacifisme. Les discours s’enchaînent avec une vitesse fulgurante, qui traduisent sans doute l’énergie du député, mais qui sème les spectateurs un à un.
Le spectacle avait tout pour plaire et pourtant il déçoit. On aurait aimé se lever avec enthousiasme comme l’exigent des représentants de différentes associations à la fin de la représentation, mais, malheureusement, on a surtout envie de rentrer se replonger dans les discours de Jaurès. ¶
Anne Cassou-Noguès
Rallumer tous les soleils. Jaurès ou la Nécessité du combat, de Jérôme Pellissier
Cie Aigle de sable • 1, rue Navoiseau • 93100 Montreuil
Tél. 06 63 51 60 26
Contact administratif : Anabel Martinez
administration.aigledesable@gmail.com
Mise en scène : Milena Vlach
Assistée de : Eleonora Rossi
Avec : Éric Wolfer, Guillaume van’t Hoff, Alexandre Palma Salas, Milena Vlach ou Sophie Belissent, François Perrin
Scénographie : Alexandre Palma Salas
Lumières : Mathieu Courtaillier
Chorégraphes : Denise Namura et Michael Bugdahn
Direction musicale : Michel Glasko
Décor : Pierre Lenczner
Photo : © Thibaut Lafay
Théâtre de l’Épée-de-Bois • la Cartoucherie • route du Champ-de-Manœuvre • 75012 Paris
Réservations : 01 48 08 39 74
Site du théâtre : http://www.epeedebois.com/
Du 30 novembre au 16 décembre, du lundi au mercredi à 20 h 30
Durée : 1 h 40
20 € | 15 € | 12 € | 10 €