Reportage au Théâtre du Peuple, à Bussang

« Littoral » de Wajdi Mouawad – mise en scène de Simon Delétang © Jean-Louis Fernandez

Simon Delétang accoste à Bussang

Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups 

Chaque été, dans les Vosges, le Théâtre du Peuple poursuit une utopie, dans une grange accrochée à flanc de montagne : réunir un public nombreux « par l’art, pour l’humanité ». Le metteur en scène Simon Delétang en a pris la direction, pour quatre ans.

Ce printemps, Simon Délétang a sillonné les Vosges. Le nouveau directeur du Théâtre du Peuple, à Bussang, a chaussé ses guêtres et pris la route, dans un souffle romantique. Il a rallié Waldersbach, dans le Bas-Rhin, par monts et par vaux, sur les pas de Lenz, le dramaturge allemand dont le romancier Georg Büchner (1813-1837) a tiré une nouvelle. À chaque station, l’artiste a interprété ce récit, donnant corps au sentiment sublime que suscite la nature sauvage, dans son impétuosité magistrale. Devant une forêt impénétrable, des torrents furieux, une neige épaisse, il n’est plus question de beau ou de laid mais d’une impression immense, qui met l’homme au cœur d’un univers incommensurable… au risque de la folie.

Büchner décrit cet emportement, dans un texte mêlant les descriptions naturelles aux réflexions métaphysiques. Simon Delétang reprend ce spectacle conçu modestement, avec une simple scénographie, en une heure, tous les dimanches, à Bussang, cet été. Il l’a imaginé comme un manifeste, indiquant son projet pour les années à venir. Il le jouera donc à nouveau.

Le directeur entend fonder sa programmation sur deux préoccupations : une exigence théâtrale loin des « effets faciles » et hors de la logique expansionniste des festivals, mais sans pédanterie ni snobisme. Le directeur a ainsi resserré la programmation autour de trois spectacles : Littoral de Wajdi Mouawad, l’après-midi ; les Molières de Vitez le soir et en version intégrale les samedis ; enfin, Lenz le dimanche. Le reste de l’année, l’activité du théâtre se poursuivra, notamment en itinérance, à la rencontre des habitants de la région. Des commandes d’écritures inspirées par les histoires locales, seront passées à des auteurs contemporains comme Marion Aubert, Pauline Peyrade, Julien Gaillard et Frédéric Vossier : les « Faits d’Hiver ».

Simon Delétang dans « Lenz » de Georg Büchner © Christophe Raynaud de Lage
Simon Delétang dans « Lenz » de Georg Büchner © Christophe Raynaud de Lage

La faculté d’enthousiasme

Simon Delétang affirme sa fidélité à Maurice Pottecher, le fondateur du théâtre à la fin des années 1890. Auteur déçu des mondanités parisiennes, revenu au pays natal fonder son utopie de théâtre, l’intellectuel était aussi un fils d’industriel, soucieux d’éduquer les ouvriers de la manufacture familiale. Il les faisait monter sur scène comme le font aujourd’hui les habitants de la région – la distribution de Littoral mêle ainsi deux tiers d’amateurs aux comédiens professionnels. Un précurseur du théâtre « populaire » ? Il rejette l’expression, préférant précisément parler de « théâtre du peuple ».

Maurice Pottecher s’en explique dans un texte de 1899, repris comme une profession de foi par le nouveau directeur : « Le Théâtre du Peuple entend mêler les classes, et, loin d’exclure l’élite, il la croit indispensable à assurer au spectacle un caractère artistique élevé, à l’empêcher de déchoir dans la vulgarité des effets faciles, du mélodrame banal et de la farce grossière. Tandis que la foule, d’esprit sincère, non blasée, apporte sa fraîcheur d’impressions, sa faculté d’enthousiasme et préserve l’artiste d’un raffinement mortel pour l’art, l’élite intelligente et instruite corrige le goût de la foule, impose au dramaturge un souci de pensée et une tenue de style sans lesquels il n’y a pas de véritable œuvre d’art. »

En accueillant les quatre pièce de Molière montées par Vitez, sous la direction de Gwénaël Morin, en adaptant donc Lenz, un morceau de bravoure du romantisme allemand, avec toute sa conviction et son enthousiasme, et Littoral, Simon Delétang donne forme à cette ambition : « l’élitaire pour tous ». Une formule attribuée à Vitez, en réalité de Schiller.

« Littoral » de Wajdi Mouawad – mise en scène de Simon Delétang © Jean-Louis Fernandez
« Littoral » de Wajdi Mouawad – mise en scène de Simon Delétang © Jean-Louis Fernandez

L’esprit de famille

Comme un geste fondateur, il a invité les acteurs à se mêler plus encore à la vie du Théâtre du Peuple en prenant, comme chez Ariane Mnouchkine, tous les rôles, sur scène et à l’accueil. Il a ravivé une autre des traditions bussenettes : l’esprit de famille. Son père joue ainsi le père du héros principal, dans la pièce de Wajdi Mouawad, un père mort mais bien présent, voire encombrant, auquel le fils cherche une sépulture.

Littoral a tout d’une fable classique, une version moderne d’Énée portant Anchise sur son dos, simple dans la trame mais inspirée des drames antiques, métaphysique mais incarnée. Cependant, malgré l’adaptation et les coupes, l’écriture de Wajdi Mouawad conserve des afféteries et des poncifs ; ils confèrent à la représentation des lourdeurs, que le statisme de la mise en scène ne lève pas. Emmanuel Noblet, l’acteur remarqué dans Réparer les vivants, incarne curieusement un tout petit rôle dans une distribution globalement affaiblie par de fortes disparités.

Qu’importe. Reste ce projet existentialiste emprunté à Hölderlin, que Simon Delétang a fait imprimer comme un utile mémo sur le rideau de scène : « Nous ne sommes rien, c’est ce que nous cherchons qui est tout ».  

Cédric Enjalbert


Littoral, de Wajdi Mouawad
Mise en scène et scénographie : Simon Delétang
Avec : Avec Ali Esmili, Roberto Jean, Mathilde-Édith Mennetrier, Emmanuel Noblet, Anthony Poupard, Simon Delétang et la troupe de comédiennes et comédiens amateurs du Théâtre du Peuple.
Collaboration artistique : Jean-Philippe Albizza
Lumières : Jérémie Papin
Son : Nicolas Lespagnol-Rizzi
Costumes : Marie-Frédérique Fillion
Collaboration à la scénographie et accessoires Léa Gadbois-Lamer
Du 14 juillet au 25 août 2018 à 15 heures
Durée : 3 heures avec entracte 

Lenz, de Georg Büchner
Traduction de Georges-Arthur Goldschmidt
Mise en scène, scénographie et jeu : Simon Delétang
Lumières : Sylvain Tardy
Son : Nicolas Lespagnol-Rizzi
Costumes : Marie-Frédérique Fillion
Les dimanches 22 et 29 juillet, 5, 12 et 19 août à 20 heures
Durée : 1 heure

Les Molière de Vitez, de Wajdi Mouawad
Mise en scène : Simon Delétang
Avec : Avec Michaël Comte, Marion Couzinié, Lucas Delesvaux, Chloé Giraud, Pierre Laloge, Benoît Martin, Julien Michel, Maxime Roger, Judith Rutkowski, Thomas Tressy
Du 31 juillet au 18 août, en semaine à 20 heures. L’École des femmes les mardis, Tartuffe ou l’imposteur les mercredis, Dom Juan ou le festin de pierre les jeudis, Le Misanthrope ou l’Atrabilaire amoureux les vendredis. Intégrale des quatre pièces les samedis à 14 heures
Durée : 1h30 chaque pièce

Théâtre du Peuple – Maurice Pottecher • 40, rue du Théâtre • 88540 Bussang

Réservation : 03 29 61 50 48

À propos de l'auteur

2 réponses

  1. Vu cette année Hamlet Machine.
    Que dire d’un metteur en scène qui cherche à briller ? Quel snobisme !
    Et l’ouverture magique sur les Vosges ?
    Ni surprise, ni magie!
    Le programme disait à partir de 12 ans. Certes, ma filleule de 10 ans a survécu mais quid du Théâtre du Peuple ?

  2. Des excès, en adéquation avec des discours politiques. Car c’est le problème de ce texte : il est rhétorique, démonstratif… ennuyeux. Peu convaincant. Loin, très loin d’un Novalis ou d’un Hölderlin. Le public applaudit par politesse. Certains spectateurs non. On offre un verre de l’amitié à la fin. Heureusement que par moment, on a pu respirer en entendant un peu de Schubert entre deux rares silences…

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