Reportage, Maison Maria Casarès, Alloue

Comment-vider-la-mer-avec-une-cuiller-Yannick-Jaulin © Joseph-Banderet

Hier, aujourd’hui, demain

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Double anniversaire à la Vergne : celui de la maîtresse des lieux, Maria Casarès, et celui de Molière. On célèbre ainsi le passé, mais on jouit aussi du présent et on dessine des avenirs, avec une rénovation, l’ouverture en 2023 d’une salle Maria Casarès à Poitiers. Bref, c’est une fête théâtrale et sensorielle.

Pas de répit pour Molière ! Lui qui a tant sillonné les routes de provinces vient aujourd’hui souffler ses bougies au domaine de La Vergne, en Charente. Au menu des festivités : goûter, apéro et repas gastronomique. En cadeau… Tartuffe. Comme Jean-Baptiste, vous en avez déjà eu plusieurs exemplaires cette année et craignez la lassitude ? Rassurez-vous. D’abord, ce Tartuffe est votre premier Tartuffe (votre Tartuffe en liberté, pourrait-on dire !). Son parrain, Georges Forestier lui a ôté ses oripeaux romanesques et son final politiquement correct. Et le voilà, resserré et satirique en diable.

Tartuffe-Molière-Matthieu-Roy-©-Joseph-Banderet
« Tartuffe », par Matthieu Roy © Joseph Banderet

Ensuite, au grand air du domaine, vivifié par l’adaptation et la mise en scène de Matthieu Roy, il a pris des allures de motoria. Mais si, vous savez, ces comédies de Plaute que vous aimez au point de les accommoder à votre sauce. Car il court, il court ce Tartuffe. Il est passé par cette porte, il repassera par celle-là. Il descend et remonte l’escalier (beaucoup). Orgon surgit en trombe, Damis (Anthony Jeanne à l’énergie toujours juvénile) bondit en bon fils sanguin à son papa sanguin. Dorine (malicieuse Aurore Déon) épie et séduit. Pernelle (Nadine Béchade, très juste) tempête et s’enfuit. Elmire et Cléante s’agitent pour éviter que la maison ne s’effondre. Quelle énergie ! l’esprit de troupe est bien là. Et à voir François Marthouret faire un pied de nez au temps qui passe en courant et tempêtant, on reste un peu ébaudi.

Yannick Jaulin : de la religion bon enfant, au religieux bon méchant

La mise en scène est ici chevillée à une scénographie de plein air. Tout se passe en effet devant la façade rénovée d’un bâtiment de la Vergne. Là aussi on pourrait songer au théâtre romain avec ses trois portes logées dans le frons scaenae, à moins qu’on ne pense à l’espace élisabéthain qui exploite les différences de niveaux. Ainsi, Tartuffe se dissimule-t-il d’abord aux étages. Pour résoudre l’exposition par une descente d’escalier échelonnée ? Cela paraît alors simple comme bonjour, c’est en vérité diablement efficace. Motoria, la mise en scène l’est aussi par une trouvaille scénographique de taille (dont on réserve la surprise) et qui dépoussière la pièce.

Ajoutons que Yannick Jaulin, truculent conteur de Comme vider la mer avec une cuiller à l’apéro-spectacle a endossé pour notre plus grande joie la soutane. Naturel et séduisant, il fait un Tartuffe redoutable. Et puis Jean-Baptiste, vous en profiterez pour rendre visite à l’une de vos émules : Maria. C’est son anniversaire aussi : elle aurait cette année cent ans ! C’est elle qui nous accueille en sa maison.

On la retrouve cette année dans la très belle visite contée dont nous vous avions parlé l’an passé. C’est l’occasion de suivre Maria l’amoureuse grâce à la correspondance qu’elle entretint avec Camus. Elle nous entraîne alors au creux d’une tour ou à l’écart près d’un point d’eau. Ce côté cœur est bien un côté jardin.

Côté cour… du Palais des Papes, on découvre une nouvelle exposition : La Troupe, les auteurs et le théâtre : Maria Casarès au Théâtre National Populaire. Au milieu du mobilier de la comédienne sont exposés des trésors : photographies, programmes, enregistrements…Mais on est bien loin du musée, de sa componction. Ici, en effet, comme dans un conte, on suit des voix sans corps. Des objets se révèlent dans l’obscurité secrète d’une pièce. Comme si Maria venait à peine de reposer ce rouge à lèvre, comme si dans ce miroir qui reflète notre image, un peu d’elle flottait encore…

En définitive, la réussite de l’exposition tient à ce qu’elle parvient à suggérer l’absence pour laisser le visiteur l’emplir de ses souvenirs (s’il a connu le TNP) ou de sa rêverie. Car l’exposition s’amuse à créer des puzzles sensitifs incomplets : images en noir et blanc d’Agnès Varda, vidéo dont le grain et les voix racontent une autre époque en deux dimensions seulement. Quand le son surgit dans une autre salle, l’image s’est, elle, abolie. On a l’impression que les pas jadis parcourus sur le plancher d’un plateau résonnent dans la maison. Enfin, les costumes prennent la forme de corps, mais ce sont ceux de mannequins. Tout reste à reconstituer. Et on nous laisse la place de le faire.

Écrin des lieux, écrits pour les lieux

De l’espace pour son visiteur, le domaine de la Vergne en ménage. C’est un havre de paix. Avec son parc, son île, il interdit la presse. De même le programme du festival, tout dense qu’il soit, ménage de précieuses pauses. À Alloue, on cultive donc, non seulement le magnifique potager qui enrichit nos assiettes, mais aussi l’art de la flânerie : c’est une parenthèse au présent. Cet espace est aussi celui des représentations qui ont toutes lieu en plein air. Pensez-y : les nuits peuvent être délicieusement fraîches.

Jeunes-Rivières-Paul-Francesconi © Joseph-Banderet
« Jeunes Rivières », Paul Francesconi © Joseph Banderet

Écrin, le lieu donne, en outre, son esprit aux spectacles. Il les inspire aussi. Yannick Jaulin y assaisonne les récits religieux à la sauce des patois, des anecdotes d’enfance. Son Comme vider la mer avec une cuiller, aux accents tendres et féministes, trouve parfaitement sa place derrière le logis. Il est un plaisir aussi gourmand que l’apéritif qui l’accompagne.

Par ailleurs, rivière, arbres du domaine deviennent les protagonistes du goûter spectacle conçu par Paul Francesconi : Jeunes Rivières. Et si on n’est pas totalement convaincu par le lourd bagage allégorique de la pièce, la mise en scène s’inscrit parfaitement dans le parc. Les éléments semblent malicieusement faire des clins d’œil au texte, les comédiens prennent des libertés avec l’espace comme les jeunes protagonistes de l’histoire.

Il y en a donc pour les petits et les grands. Il y en a encore pour les yeux et les papilles, pour le passé, le présent, mais aussi l’avenir. Car, comme un jeune chef fait ses armes cette année à Alloue, des metteurs en scène sont de jeunes pousses qui y grandissent. Or, à l’automne 2023, ils pourront jouer leurs créations à Poitiers, les confronter toute l’année à un public. En effet, la Maison Maria Casarès devient centre polyculturel de rencontres : un pied à la campagne en été, donc, et un pied en ville, pour les autres saisons. Quel bel horizon ! 🔴

Laura Plas


L’Été à la Maison Maria Casarès

Du 25 juillet au 19 août 2022
Maison Maria Casarès • Domaine de la Vergne • 16490 Alloue
Réservations : 05 45 31 81 22 ou par mail

Comment vider la mer avec une cuiller, de Yannick Jaulin : apéro spectacle

Site de la compagnie du Veilleur
Mise en scène : Matthieu Roy
Assistante à l’écriture et à la mise en scène : Valérie Puesh
Avec : Yannick Jaulin et Morgane Houdemont
Composition : Morgane Houdemont
Durée : 1 heure
Dès 12 ans
Du 25 juillet au 19 août 2022, du lundi au vendredi de 18 h 30
5 €
Le livre CD d’une version du texte est accessible sur le site de l’auteur
Vidéo d’une précédente version du spectacle

Le Tartuffe ou l’Imposteur, de Molière : dîner spectacle

Site de la compagnie du Veilleur
Adaptation de Georges Forestier
Mise en scène et dispositif scénique : Matthieu Roy
Avec : Nadine Béchade, Aurore Déon, Yannick Jaulin, Anthony Jeanne, Sylvain Levey, François Marthouret, Johanna Silberstein
Durée : 1 h 15
Dès 10 ans
Du 25 juillet au 19 août 2022, du lundi au vendredi à 20 heures
25 € (diner inclus)
Pendant le spectacle, un atelier théâtre à l’attention des enfants entre 5 et 10 ans est proposée (atelier + diner : 15 €)

Jeunes Rivières, de Paul Francesconi : goûter spectacle

Écriture etMise en scène : Paul Francesconi
Avec : Nadine Béchade, Anthony Jeanne, Khadija Kouyaté, Théophile Sclavis
Durée : 50 minutes
Dès 8 ans
Du 25 juillet au 19 août 2022, du lundi au vendredi à 16 h 30
5 €

Exposition : La Troupe, les auteurs, et le théâtre, Maria Casarès au Théâtre National Populaire

En partenariat avec la Maison Jean Vilar et l’INA
Du 25 juillet au 19 août 2022, du lundi au vendredi de 14 h 30 à 18 heures
5 €

À découvrir sur Les Trois Coups :
Exposition, lecture, Maison Jean Vilar, Avignon, par Laura Plas
Festival d’été 2021 à la Maison Maria Casarès à Alloue, par Laura Plas

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