L’énergie rock
de la mise en scène
finit par convaincre
Par Frédérique Favre et Lorène de Bonnay
Les Trois Coups
Arnaud Anckaert déniche le texte inédit en France d’une auteur britannique, Alice Birch, pour jouer le sexisme et la violence du désir, exercés aussi bien sur le corps, le langage, ou au travail. En 2014, l’écrivain a remporté le George Devine Award et le Arts Foundation Award pour ce texte à la fois contemporain et atemporel. Un spectacle dérangeant, mais stimulant.
« Révolutionnez », scande un slogan en lettres lumineuses rouges, tout au long de la pièce. Face au monde d’aujourd’hui, brutal, cru, incompréhensible, on peut rester pantois, écœuré, ou on peut se révolter, prendre les stéréotypes à rebours et leur tordre le cou. « Je ne comprends pas », dit le metteur en scène. Alors plutôt que d’expliquer, il choisit de nous lancer au visage des questions sans réponse : et si le désir de la femme empruntait le langage de l’homme ? Comment réagir à une demande en mariage ? Jusqu’où ira la femme qui prend son propre corps pour expérimenter son rapport au monde ?
À partir du texte à séquences d’Alice Birch, des sketches truffés de vulgarités ou d’éclairs cinglants, Arnaud Anckaert donne à voir et à entendre ce que serait un monde où la révolte l’emporterait. Pour mieux comprendre ce qui est inacceptable : viols, abandons, mépris, soumission, il ose exposer l’envers du décor. C’est peut-être facile, c’est parfois naïf, ça amuse, et ça bouscule.
Puis, ça grince.
Sur un plateau nu, des corps se dévêtent et se rhabillent dans l’impudeur des relations sans fard entre hommes et femmes. D’abord, les clichés déferlent : escarpins rouges et robe moulante sont les premiers costumes arborés. Mais ces images faciles ne trompent pas : elles évoquent la violence avec laquelle la femme est traitée comme un objet (de désir). Puis, ça grince. Le discours de l’homme se retourne comme un gant face à celui de la femme qu’il juge agressif ; les postures de chacun s’inversent sous le vent de la révolte. En live, le clavier et la guitare électrique de Benjamin Collier accompagnent cette dérive délirante.
Dans une autre saynète, une femme nue dégoûtante dans les allées de pastèques d’un supermarché dérange : « Ça ne se fait pas ! », lui lance-t‑on. Ça ne se fait pas d’étaler sa chair en souffrance sur l’autel de la grande consommation… Et cette élémentaire demande de temps, pour se reposer, qu’une employée d’entreprise formule à son patron têtu étonne : ce n’est pas la banalité du travail qui est insupportable, c’est le manque d’écoute, c’est l’incapacité à laisser de petits désirs simples advenir, tout naturellement, entre les impératifs d’une alternative étroite : produire ou consommer.
Les quatre comédiens sont à tour de rôle victimes et bourreaux. La comédienne et chanteuse Mounya Boudiaf séduit par la variété de ses registres. Antoine Lemaire, jouant sans nuances l’homme viril et dégoulinant de désir au début de la pièce, réapparaît à l’acte II, comme dans les comédies classiques, sous les traits d’une vieille femme : la marâtre n’est plus ici la cible de la satire moralisatrice, mais incarne l’énigme de cette femme qui a choisi d’abandonner ses enfants et n’en témoigne aucun remords. Les rôles s’intervertissent : jeux de miroir qui dénoncent et ridiculisent nos représentations. Loin d’une pensée correcte et sermonneuse, la posture féministe s’autorise la violence, l’extravagance, sans souci de bon goût. En somme, l’énergie rock de cette mise en scène finit par convaincre, à force de creuser derrière les paravents de stéréotypes éculés. ¶
Frédérique Favre et Lorène de Bonnay
Revolt. She Said. Revolt Again, d’Alice Birch
Texte traduit par Sarah Vermande, comédienne
Cie Théâtre du Prisme
Mise en scène : Arnaud Anckaert
Avec : Mounya Boudiaf, Maxime Guyon, Pauline Jambert, Antoine Lemaire et Benjamin Collier
Musique : Benjamin Collier
Vidéo : Juliette Galamez
Costumes : Alexandra Charles
Photo : © Bruno Dewaele
La Manufacture-Patinoire • 2, rue des Écoles • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 85 12 71
Du 6 au 24 juillet 2016 à 18 h 10, relâche le 18 juillet (départ navette de La Manufacture, retour Avignon 19 h 55)
Durée : 1 h 45
18 € | 12,50 €
À partir de 15 ans