« Richard III », de Shakespeare, espace Sarah‑Bernhardt à Goussainville

Richard III © Thierry Laporte

Shakespeare rap and roll

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

David Gauchard a choisi de mêler les disciplines pour mettre en scène « Richard III », qu’il présente comme un monstre à trois têtes. Portée par un comédien, un rappeur et un guitariste, la pièce prend un sacré coup de jeune. Un spectacle original que ce Shakespeare, performance théâtrale et technique qui inaugure magistralement le Festival théâtral du Val-d’Oise, programmé du 4 novembre au 11 décembre 2011 dans tout le département.

Sacré défi de camper Richard III, l’un des tyrans les plus sanguinaires immortalisés par Shakespeare ! Vincent Mourlon le relève avec brio, incarnant un duc de Gloucester impressionnant, figure solitaire d’un royaume au bord du chaos, allégorie du mal. Sa présence est forte et son jeu précis. Au centre, il partage la scène avec Arm, rappeur qui scande son texte sur un rythme binaire, comme le cœur qui manque à Richard III, ainsi qu’avec Olivier Mellano, guitariste et compositeur d’une partition musicale épousant parfaitement les méandres de sa pensée torturée. Car, ici, on assiste effectivement à l’ascension, mais surtout à la chute brutale de ce roi battu par le futur Henri VII d’Angleterre. Tragédie oblige !

Un monstre à trois têtes

Pas moins de trois hommes pour incarner Richard III, sombre héros rap and roll ! Difforme et cruel, celui-ci incarne le désordre. Frénétique, il complote, il s’agite, distillant son poison mortel et détruisant tout sur son passage. Les autres personnages font quelques apparitions sur scène, mais ils apparaissent surtout dans des séquences filmées. Leur image, travaillée graphiquement, fait penser à des avatars, avec lesquels ce roi maudit négocie avant de les trahir. Bien que le plus inhumain de tous, ce « chien galeux » de Richard III, est, quant à lui, bien là, en chair et en os. C’est d’ailleurs le seul dont on voit le sang couler.

Tandis que ses victimes sont toutes anéanties par manettes de jeux vidéo, Richard III n’échappe pas à son funeste sort. S’il ne vit que pour assassiner, il finit par plonger, à son tour, dans les abîmes de l’Histoire. À corps perdu. Tué dans la mêlée dans laquelle il se jette pour essayer de se battre personnellement avec Henri Tudor, sa mort met fin à la guerre des Deux-Roses. Et la tragédie s’achève sur l’image de mains couvertes de sang. Pas sur son cadavre.

Bien que radicaux, ces partis pris de mise en scène sont très intéressants car ils apportent un nouvel éclairage dramaturgique. Le refus de tout réalisme (y compris dans les décors réduits au strict minimum et dans le jeu des acteurs, sobre, direct et frontal), la mise en avant du personnage principal dont la parole est isolée, tous ces choix traduisent bien les troubles psychiatriques de Richard III : déréalisation (altération de la perception du monde extérieur qui apparaît comme irréel) et paranoïa. Donc, pas de pathos ici, pas de magie, non plus, si ce n’est celle des effets spéciaux, à laquelle la mise en scène réserve une place de choix.

C’est sans doute pourquoi ce spectacle interpelle les adolescents. D’abord, la version, resserrée à deux heures, va à l’essentiel : la fulgurante accession au pouvoir, les deux années de règne marquées par les complots, la folie qui précipite Richard III au bord du gouffre. Ensuite, la forme modernisée démontre bien le caractère universel de cette réflexion sur le pouvoir. À condition d’être sur la même longueur d’ondes, la pièce nous parle autrement. Richard III n’a jamais été aussi vivant, aussi actuel. Si le spectacle commence comme un concert, il se transforme vite comme un drame déjanté où le jeu de l’acteur se marie parfaitement au numérique. Et cela résonne fort ! C’est dérangeant à souhait.

Branchée, cette adaptation n’en dessert pas pour autant le grand Will, dont toute la puissance du verbe est préservée. Shakespeare passé au shaker, donc, mais respecté, avec une traduction intéressante d’André Markowicz. Il en est de même de la poésie que recèle ce chef-d’œuvre du xviie siècle, puisque David Gauchard n’illustre jamais, préférant plutôt exciter notre imaginaire. Adeptes des nouvelles technologies qu’ils détournent (mais toujours dans une quête de sens), ces artistes-là démontrent que c’est nous, êtres humains, qui fixons toujours les limites du possible. 

Léna Martinelli


Richard III, de William Shakespeare

Cie l’Unijambiste

www.unijambiste.com

Mise en scène : David Gauchard

Traduction : André Markowicz

Avec : Vincent Mourlon, Arm, Olivier Mellano (jeu et guitare), Hélène Lina Bosch, Nicolas Petisoff, Emmanuelle Hiron et une dizaine d’acteurs à l’écran

Musique : Olivier Mellano

Texte et rap : Arm (Psykick Lyrikah)

Lumière : Christophe Rouffy

Son : Klaus Löhmann

Costumes : Josette Rocheron

Scénographie : Christophe Delaugeas

Photo : © Thierry Laporte

Espace Sarah-Bernhardt • 82, boulevard Paul-Vaillant-Couturier • 95190 Goussainville

Réservations : 01 39 88 96 60

Le 4 novembre 2011 à 20 h 30

Durée : 2 heures

13 € | 8 €

Tournée :

  • Le 15 novembre 2011 aux Scènes du Jura à Lons-le-Saunier (39), réservation au 03 84 86 03 03
  • Le 17 novembre 2011 à M.A., scène nationale de Montbéliard (25), réservation au 0805 710 700 (numéro vert gratuit)
  • Le 24 novembre 2011 au Théâtre Thouars, scène conventionnée (79), réservation au 05 49 66 39 32
  • Le 29 novembre 2011 à la Ferme de Bel-Ébat à Guyancourt (78), réservation au 01 30 48 33 44

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories

contact@lestroiscoups.fr

 © LES TROIS COUPS

Précédent
Suivant