« Riquet », d’Antoine Herniotte d’après « Riquet à la houppe » de Charles Perrault, Théâtre Am Stram Gram à Genève

« Riquet » © Élizabeth Carecchio

Insolentes métamorphoses

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

En avant-première du Festival d’Avignon, la compagnie du Menteur-Volontaire présente au Théâtre Am Stram Gram de Genève « Riquet », création d’Antoine Herniotte et Laurent Brethome pour le jeune public, d’après « Riquet à la houppe », conte populaire de Charles Perrault. Un spectacle déluré et ébouriffant.

En vérité, le récit de Perrault reste peu connu. Seul le titre évoque aujourd’hui avec humour une implantation désordonnée de cheveux qui, selon les uns ou les autres, suggère un personnage baba ou punk. Il faut dire que la très courte fiction originale – quelques pages – a pris avec le temps l’allure d’une histoire carrément machiste. Pour mémoire, une reine a pour héritier un fils très laid. Dans un autre royaume, un roi cherche à marier ses deux filles. L’une est belle mais stupide, l’autre plutôt moche, mais particulièrement intelligente. Leur rencontre avec le jeune homme prénommé Riquet va les faire s’affronter. Malgré sa laideur, sa brillante intelligence lui permet de séduire la plus jolie des deux sœurs et de laisser tomber la moins avenante. Tambours, trompettes, mariage !

Heureusement et malicieusement, en 2015, le texte d’Antoine Herniotte dépoussière et actualise le propos. Résumons : un roi, ou plutôt ce qu’il en reste, est pressé de caser ses rejetons. Sublima, on le devine, est d’une grande beauté. Minipedia, joli jeu de mots, est savante et disgracieuse. Survient Riquet, plein de tics et de tocs mais brillant. Les jeux de séduction commencent. Sortilèges de la forêt sans lumière, bal des lucioles, travestissements. Riquet finit par rendre Sublima sagace et part avec elle à la découverte du monde. Minipedia trouve son bonheur auprès d’un plasticien et diffère son désir d’avoir des enfants. Le roi malade est soulagé.

Soutenable légèreté dramaturgique

La mise en jeu de la langue directe et contemporaine d’Herniotte a fait opter Laurent Brethome, le metteur en scène, pour une dramaturgie incisive et dynamique. Son travail s’appuie sur la scénographie simple et légère de Rudy Sabounghi. Trois panneaux mobiles réunis ou dispersés dans l’espace opèrent comme les pages d’un livre d’images. Avec une bombe, un balai ou une main, Louis Lavedan crée grâce à des techniques de peinture en direct les lieux de l’action. Du théâtre d’ombres enrichit aussi l’esthétique de la représentation. C’est vif, efficace et poétique.

Sur le plan des apparences, pas de concessions aux clichés des contes traditionnels. Roi, prince, princesses et fées sont allègrement débarrassés des oripeaux habituels. Costumes modernes, absence d’accessoires encombrants, simplicité constante qui favorise la liberté des corps et de l’interprétation. Quant aux situations proposées par l’écriture, elles décrivent sans démagogie et avec une distance humoristique le parcours de Riquet et des autres protagonistes dans un univers de notre époque. Attention au délit de faciès dans les rapports amoureux. Vive le plaisir de partager les rêveries imaginaires. À bas les préjugés qui entravent la transformation des relations sociales. La métamorphose est toujours possible. Laurent Brethome a conçu un spectacle libertaire et insolent qui réussit à déconstruire la perversité avec laquelle les médias, entre autres, célèbrent la tyrannie d’une beauté calibrée et vulgaire. À mentionner également la spontanéité ludique qui permet aux acteurs d’éviter tout didactisme. On pense parfois dans certaines scènes à la façon dont les couples se font et se défont dans le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare.

La représentation doit évidemment beaucoup aux comédiens. En Riquet, François Jaulin bouleverse, encombré par son corps maladroit et sa fébrilité. Mâle mal assumé, il fait plaisir à voir quand son amour semble enfin partagé. Dominique Gubser (Minipedia) émeut en passant de la colère à la révolte, de la lucidité à la révélation amoureuse. Yasmina Remil (Sublima) touche en se montrant ingénue puis curieuse, exaltée puis clairvoyante. Louis Lavedan (peintre), non content de fasciner par son art du dessin, parvient dans le final de la pièce à se glisser aisément dans un personnage inattendu.

Souhaitons à Riquet un accueil chaleureux à Avignon, où il aura la belle responsabilité de marquer le retour de la création théâtrale pour les jeunes spectateurs dans le « In » après quarante ans d’absence. Jean Vilar puis Paul Puaux avaient fait ce choix de 1969 à 1974. 

Michel Dieuaide


Riquet, texte d’Antoine Herniotte d’après le conte populaire Riquet à la houppe de Charles Perrault

Mise en scène : Laurent Brethome

Jeu : Yasmina Remil, Dominique Gubser, François Jaulin

Assistante à la mise en scène : Anne-Lise Redais

Scénographie : Rudy Sabounghi

Créateur son : Antoine Herniotte

Lumière : David Debrinay

Collaborateur graphique, plasticien peinture en direct : Louis Lavedan

Photos du spectacle : © Élizabeth Carecchio

Production : La Fabrique de dépaysement, Le Menteur volontaire

Production déléguée : Les Scènes du Jura, scène nationale

Coproduction : Théâtre Am Stram Gram centre international de création pour l’enfance et la jeunesse, Château rouge scène pluridisciplinaire d’Annemasse, dans le cadre du projet transfrontalier de La Fabrique de dépaysement soutenu par le progamme I.N.T.E.R.R.E.G.I.V.A France Suisse 2007-20013

Cofinancé par : le Fonds européen de développement régional et la Confédération suisse

Théâtre Am Stram Gram • route de Frontenex 56 • 1207 Genève

Site : www.amstramgra m.ch

Tél. 022 735 79 24

Du 5 au 10 mai 2015 : mardi 5 mai à 19 heures, mercredi 6 mai à 15 heures, samedi 9 mai à 17 heures et dimanche 10 mai à 17 heures

Durée : 1 heure

Tarifs : de 24 à 10 francs suisses

 

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