« Roberto Zucco », de Bernard‑Marie Koltès, Théâtre des Treize‑Vents à Montpellier

Roberto Zucco © David Anémian

Olivier Werner, un extraordinaire Zucco

Par Marie-Christine Harant
Les Trois Coups

Vingt ans déjà que Koltès a quitté ce monde, emporté par le sida. Vingt ans que ses pièces sont régulièrement jouées parce que chacune est un chef-d’œuvre. La dernière, « Roberto Zucco », est devenue un mythe. Écrite dans l’urgence par celui qui sentait sa fin prochaine, elle est considérée comme son testament. Dans la mise en scène de Christophe Perton, elle devient un hymne à la vie. L’histoire d’un tueur en série, transcendée par la beauté et l’amour du théâtre.

Koltès s’est inspiré d’un fait-divers à rebondissements sordides. Un très jeune homme, presque un enfant – il a 15 ans lors de son premier forfait –, tue tour à tour son père, sa mère, et plus tard encore six personnes. Un homme qui court toujours entre deux crimes et deux évasions. Un homme qui rêve des neiges éternelles sur les montagnes d’Afrique. Un homme qui se suicide plutôt que de retourner une nouvelle fois en prison. Devant son portrait dans les couloirs du métro, Koltès tombe en arrêt, il veut en savoir davantage sur cet homme, objet d’un avis de recherche, et dont le regard mystérieux l’intrigue et l’obsède. Transcendé par l’auteur, Roberto devient un héros de tragédie antique. Et bien vite en tant que tel, un mythe.

Christophe Perton, metteur en scène, s’est à son tour intéressé à ce personnage, un Samson contemporain, selon lui. Comme ce héros de la Bible, Roberto Zucco a cette force incroyable de tout pulvériser sur son passage. Comme Samson, il tombe suite à la trahison d’une femme. Olivier Werner a le charisme qu’on attend pour camper cet ange exterminateur. Il est tout simplement extraordinaire. Presque maladroit au début, lorsqu’il sort de prison pour retrouver son vieux treillis et « liquider » sa mère, il devient funambule jusqu’à sa danse finale. Entre-temps, le personnage aura fait trois rencontres exceptionnelles qui viennent changent le cours de sa vie, toutes les trois séduites par la personnalité de Roberto, trois vies épargnées.

Agathe le Bourdonnec brûle les planches

Ainsi, le vieil homme dans le métro, magnifique Pierre Baillot, donne lieu a une des scènes les plus fortes de la pièce. Roberto acceptera-t-il de lui tendre la main ? À cet instant, tout peut basculer entre violence et tendresse. Dans le jardin public ensuite, la dame élégante, formidable Christine Gagnieux, otage folledingue et consentante, voit son fils se faire abattre sans ciller. La comédienne joue avec un détachement proche de l’indifférence cette mère indigne. Enfin, la gamine, par qui la chute du héros se produira. Agathe Le Bourdonnec, dans le rôle, brûle les planches. Quelle présence, quelle santé, quelle fougue ! Le reste de la distribution, quatorze autres artistes, mérite les mêmes louanges. Rarement autant de talents auront été réunis sur un plateau. Christophe Perton les dirige habilement là où il veut, dans une représentation loin de tout vérisme.

Le décor donne l’ambiance. On n’est pas dans une reconstitution laborieuse, on est vraiment au théâtre : vieux rideau ouvrant sur une scène, quelques fauteuils de salle, des vestiaires pour les changements de costume à vue. Et la servante, cette petite veilleuse, garde les lieux lorsque le spectacle est terminé. C’est une formidable idée pour se déjouer des pièges tendus par une pièce qui change d’espace à chaque scène : mur de prison, sous la table, couloirs du métro, bar à putes, maison de Roberto, chambre de la gamine, jardin public. Les lumières de Thierry Opigez suggèrent les différents endroits. Les comédiens deviennent spectateurs avec le public de l’action qui se joue avec ou sans eux.

N’oublions pas la langue de Koltès, cette écriture coup-de-poing, nerveuse, limpide, peuplée d’interrogations, peuplée de fantômes qui ont marqué l’auteur. On l’entend résonner bien vivante dans la bouche des comédiens qui se l’approprient avec gourmandise, cette langue qui virevolte comme dans une danse de mort. On se régale de l’écouter, tellement moderne, tellement présente. Pour un peu on oublie que Koltès est parti depuis vingt ans déjà. 

Marie-Christine Harant


Roberto Zucco, de Bernard‑Marie Koltès

Comédie de Valence • C.D.N. Drôme-Ardèche • place Charles-Huguenel • 26000 Valence

04 75 78 41 70 | télécopie : 04 75 78 41 72

www.comediedevalence.com

Mise en scène : Christophe Perton

Assistant à la mise en scène : Jérémie Chaplain

Avec : Pierre Baillot, Yves Barbaut, Éric Caruso, Christiane Cohendy, Juliette Delfau, Christine Gagnieux, Jean‑Louis Johannides, Franziska Kahl, Agathe Le Bourdonnec, Jonathan Manzambi, Roberto Molo, Pauline Moulène, Jenny Mutela, Olivier Sabin, Claire Semet, Nicolas Struve, Olivier Werner

Scénographie : Christian Fenouillat, Christophe Perton

Création lumière : Thierry Opigez

Création son : Frédéric Bühl

Création costumes : Alexandra Wassef, assistée de Dominique Fournier

Chorégraphe : Kylie Walters

Combats : Didier Laval

Coiffures et maquillages : Mireille Sourbier-Mangliagli

Photo : © David Anémian

Théâtre des Treize-Vents • C.D.N. Languedoc-Roussillon • domaine de Grammont • 34000 Montpellier

Réservations : 04 67 99 25 00

Du 24 au 28 novembre 2009, mardi, mercredi, jeudi à 19 heures, vendredi et samedi à 20 h 45

Durée : 1 h 50

21 € | 14 €

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