« Saison estivale 2017 », Maison Maria Casarès à Alloue

La Maison Maria Casarès

La Maison 

Maria Casarès

au rythme des saisons

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Directeurs de la Maison Maria Casarès, Johanna Silberstein et Matthieu Roy cultivent de belles ambitions pour les jeunes compagnies théâtrales et le territoire. Après trois semaines d’ouverture au public, la première saison estivale bat son plein. Jusqu’au 18 août, il est toujours possible d’assister à la visite contée, aux dîner et goûter spectacles.

Entre Angoulême, Poitiers et Limoges, le domaine de la Vergne, étendu sur plus de cinq hectares, recèle bien des surprises. C’est là que Maria Casarès a fini sa vie en 1996. Elle repose d’ailleurs dans le petit cimetière d’Alloue, visible depuis la Charente qui traverse le domaine, dans ce joli bois, où elle devait souvent se ressourcer.

Cette comédienne à la carrière exceptionnelle avait la tragédie qui coulait dans les veines. Après une enfance confisquée par le franquisme – la belle Espagnole a dû fuir la barbarie, avec son père, Premier ministre de l’époque –, elle renaît littéralement aux Mathurins, en 1942, où elle rencontre aussitôt le succès. Si elle enflamme les cœurs dans les Enfants du Paradis, elle ne quittera pas la scène, cet espace vertigineux où elle peut tutoyer la mort sans vergogne. Après la Comédie-Française, elle triomphe au Théâtre national Populaire, au Festival d’Avignon ou sur les plus grandes scènes d’Europe. Mais sa vie bascule à nouveau le jour où disparaît le grand amour de sa vie, Albert Camus, avec lequel elle a entretenu une relation passionnelle. En 1961, elle achète alors ce vieux manoir du XIIe siècle qui lui rappelle sa Galice natale. Loin de la foule, le monstre sacré y retrouve le goût d’une existence simple. L’exilée s’y enracine et devient charentaise d’adoption, à tel point qu’à sa mort, elle lègue son domaine à la mairie, pour remercier la France de l’avoir accueillie.

C’est l’association de la Maison du comédien, initialement portée par Véronique Charrier (ex-codirectrice du Festival d’Avignon) et François Marthouret, qui fait vivre le lieu pendant 12 ans, notamment avec les Rencontres d’été, avant un bref passage de Claire Lasne et de Vincent Gatel. Désormais labellisée “Centre culturel de rencontre” et “Maison des Illustres”, la Maison Maria Casarès doit développer des activités artistiques pluridisciplinaires pour valoriser son patrimoine. C’est justement ce à quoi se vouent Johanna Silberstein et Matthieu Roy, nommés à la direction en septembre 2016.

Matthieu Roy et Johanna Silberstein
Matthieu Roy et Johanna Silberstein

Ces deux artistes-là fréquentent le lieu depuis longtemps. Entre 2008 et 2010, la compagnie du Veilleur, qu’ils ont fondée, est associée à la Maison du comédien Maria Casarès, où elle crée quatre spectacles. Désireux de mettre, eux aussi, leur pierre à l’édifice de la décentralisation, Johanna et Matthieu font alors le choix de s’implanter en Poitou-Charentes, même si leurs spectacles tournent aussi beaucoup à l’étranger. Leur « engagement poétique et politique » se traduit effectivement par une réelle inscription sur le territoire, avec des activités de création, de diffusion et de transmission dans le réseau du théâtre public. Parmi leurs spécificités artistiques : la défense des écritures contemporaines auprès de tous les publics, y compris les plus jeunes ; des dispositifs immersifs, plaçant souvent les spectateurs au cœur du processus de création ; et un intérêt prononcé pour l’art numérique.


Un ambitieux projet

Pour la Maison Maria Casarès, Johanna et Matthieu ont imaginé un projet articulé autour de quatre piliers (théâtral, agricole, numérique, pédagogique) afin de favoriser les rencontres entre les acteurs de ces différents domaines, et tout particulièrement l’insertion des jeunes. Au cours de l’année, quatre compagnies théâtrales se sont en effet succédées avec un solide projet de création, bénéficiant d’un mois de résidence, du gîte et du couvert, des conseils avisés de leurs aînés. Ces artistes émergents reviendront à la rentrée pour présenter les fruits de leur travail au public et aux professionnels. Cette journée pour découvrir les talents de demain fournira l’occasion d’échanger autour des enjeux de la jeune création dans le spectacle vivant. Sûr, la moisson sera bonne.

Bien décidés à ouvrir le lieu en toutes saisons, Johanna et Matthieu inventent de multiples passerelles. Si en juin et juillet, la maison s’ouvre aux écoles (après celle du Théâtre national de Strasbourg, l’École du Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine sera accueillie l’année prochaine), en juillet-août, c’est au tour du public d’être accueilli. Puis, des spectacles chez l’habitant ou dans les salles polyvalentes de la région maintiendront le lien jusqu’aux beaux jours. Et pour tisser des rapports étroits avec des publics variés sur tout le territoire, le couple rejoint l’ambition du maire qui souhaite attirer des agriculteurs sur la commune. Comme en permaculture, ce projet, que Johanna et Matthieu qualifient, eux, de « polyculturel » est fondé sur un réseau d’entraide et il respecte une logique environnementale : au printemps, on sème ; en été et en automne, on récolte ; en hiver, on prépare le terrain.

À la recherche d’authenticité dans les rapports (à la nature, aux gens, à l’art), le couple fait donc preuve de bon sens. Dans ce lieu de ressourcement, propice aux rencontres et au travail, loin de l’institution parfois sclérosante, un vaste champ des possibles s’ouvre. Pas de projet axé uniquement autour du comédien, pour mieux replacer celui-ci dans son écosystème. Pas de tête d’affiche ou de « coup médiatique », mais des propositions au long cours. Dans un contexte de libéralisation, revenir au développement durable, y compris dans le domaine du spectacle vivant, fait du bien. À Alloue, il semble plus facile de prendre le temps, car on est aussi un peu à contre-courant. D’ailleurs, cette saison estivale n’est pas conçue comme un festival. Davantage qu’un temps fort, elle se positionne à l’inverse du rythme habituel des saisons culturelles, avec une ouverture au public décalée.

Hospitalité et création

Pour cette première programmation, Matthieu a alors fait appel à Rémi De Vos pour écrire une visite contée : les Fantômes d’Alloue. Ayant croisé l’auteur ici, lors d’une résidence, il a tout naturellement pensé à lui puisqu’il connaît bien le lieu. Rémi De Vos a donc conçu cette visite autour de l’histoire de son illustre hôte, tout en brodant sur la relation entretenue par Maria Casarès avec les auteurs qu’elle a joués.

D’emblée, le comédien Léon Napias met dans l’ambiance : « Parfois, dans la maison, on entend des bruits étranges. La nuit n’est pas tout à fait silencieuse.
 La maison est habitée. On sent une présence ». Et l’on suit volontiers le guide, dans cette maison chargée d’histoires, vibrante de mille et une voix, depuis la bibliothèque où Sartre tente de voler la vedette à Camus, jusqu’à la tour qui abrite Genet. Mais le plus émouvant est sans doute ce mur recouvert de lierre, contre lequel Maria aimait lancer les répliques de Claudel, avant de se confronter à celui du Palais des Papes. La visite s’achève par la salle de spectacles hantée par Koltès. Enfin, la voie de Maria résonne, même si son âme ne nous a pas quittés depuis qu’on est entré dans le domaine. Avec tous ces fantômes, ce sont autant de cœurs qui battent. L’énergie de cette maison, restée dans son jus, se remet à circuler.

L’enjeu est de taille pour tous ces lieux de mémoire : comment les faire vivre sans les dénaturer, mais sans les figer dans l’histoire ? Après un inventaire précis du mobilier (notamment les accessoires, costumes et ouvrages sur le théâtre) le scénographe de la compagnie, Gaspard Pinta, associé au projet, car également lauréat d’un concours d’architecture et de paysagisme, participera au réaménagement de la Maison et du domaine, jusque-là entretenus mais jamais rénovés. Avec ce projet permaculturel, il s’agit même de réinventer de façon à nourrir, en plus de cultiver, pour une réappropriation du lieu qui offre l’opportunité d’allier sauvegarde du patrimoine et développement de nouvelles activités.

Immersions sonores et éveil des papilles

Justement, les deux spectacles proposés sont conçus comme dîner et goûter spectacles, histoire de poursuivre par un temps d’échange avec les acteurs. L’Amour conjugal, créé ici en 2008, avant une tournée internationale, est donc repris. L’adaptation de ce roman, qui se déroule du côté de la Toscane, est parfaite pour le salon de Maria Casares, qui prend naturellement les atours de cette villa endormie d’une bourgeoisie décadente. Munie de casques audio, un peu voyeurs, les spectateurs pénètrent dans l’intimité d’un couple, au plus près de leurs voix et de leurs pensées. Tel un chirurgien de l’esprit, Alberto Moravia aime en effet scruter à la loupe les tourments d’un personnage. Ici, l’auteur analyse et dissèque le désespoir d’un critique qui se rêve écrivain. C’est surtout un homme tourmenté par l’angoisse, car en panne d’inspiration et trahi.

Inspiré par les affres de la création et la difficulté de la relation amoureuse, Matthieu Roy tire partie de la polyphonie de l’écriture dans sa mise en scène, en faisant littéralement entendre les ruminations de Silvio. Une écriture réflexive que les interprètes s’approprient de manière froide, comme les personnages qui tentent d’annihiler leur souffrance en la tenant à distance. Toujours au bord du gouffre, Philippe Canales reste sur le fil, tandis que Johanna Silberstein, altière, tente de l’emmener dans ses retranchements, elle qui se voit imposer l’abstinence. Autour de l’imposante table du salon, les fantasmes alimentent la perversité du couple. Mais pour cette pièce bavarde, le hors-scène est encore plus efficace. La séquence en extérieur nous mène vers des ailleurs insoupçonnés. Une soirée délicieuse, d’autant qu’à l’issue de la représentation, les spectateurs, attablés sous les étoiles, dégustent le repas en bonne compagnie.

Cadre plus classique concernant la pièce jeune public, Loulou : dans la grange, transformée en salle de spectacle, deux comédiens et un enfant de Charente-Limousine réalisent en direct les dialogues et les bruitages du film d’animation de Grégoire Solotareff projeté sur grand écran. Après quatre jours de stage, les enfants y jouent en alternance le petit loup dans cette belle histoire de tolérance et d’amitié. Un joli bouquet d’émotions !

Ouverte à tous, la Maison Maria Casarès se veut ainsi à l’écoute des enjeux sociaux, culturels, économiques et écologiques du monde de demain. En associant étroitement les professionnels et les publics, les membres de l’association et les tutelles, ses nouveaux directeurs développent un lieu innovant, inscrit dans la chaîne de production théâtrale en milieu rural. Laissons-leur le temps de creuser leur sillon, mais parions que ce système vertueux, circulaire et écoresponsable devienne un modèle : rien de tel que l’esprit de partage et la créativité pour enrichir un patrimoine commun. 

Léna Martinelli


Maison Maria Casarès, Centre culturel de rencontre et Maison des Illustres

Saison estivale 2017, du 18 juillet au 18 août

Domaine de La Vergne • 16490 Alloue


Renseignements : 05 45 31 81 22

Compagnie du Veilleur • 26, rue Carnot • 86000 Poitiers

Contact : 06 11 94 85 24

Les Fantômes d’Alloue, visite contée écrite par Rémi De Vos

Mise en scène : Matthieu Roy 

Avec : Léon Napias

Mise en lumière du site : Manuel Desfeux

Lundi à 17 h 30 et 18 h 30 en version anglaise, mardi et mercredi à 15 h 30 et 17 h 30, jeudi et vendredi à 17 h 30 et 18 h 30 

Entrée libre

L’Amour conjugal, d’après le roman d’Alberto Moravia

Traduction : Claude Poncet

Mise en scène : Matthieu Roy

Avec : Johanna Silberstein, Philippe Canales

Scénographie : Gaspard Pinta 

Espaces sonores : Mathilde Billaud, Alban Guillemot 

Lumières : Manuel Desfeux

Costumes : Noémie Edel

Perruques, maquillage : Kuno Chlegelmilch

Régie : Laurent Savatier

Jeudi et vendredi à 19h30
, lundi à 19h30 en version anglaise (les 24, 31 juillet, 7 et 14 août)

Réservation obligatoire : 05 45 31 81 22 (jauge limitée à 40 personnes)

25 € (avec le dîner élaboré par Pierre Rigothier, chef étoilé à la Scène Thélème)

Durée : 50 minutes

Loulou, d’après l’œuvre originale de Grégoire Solotareff

Parue aux éditions l’école des loisirs

Réalisation : Serge Elissalde 

Production : Prima Linéa Production

Mise en scène : Matthieu Roy

Avec : Johanna Silberstein, Philippe Canales et la participation d’un enfant de Charente-Limousine

Régie : Laurent Savatier

Mardi et mercredi à 16 h 30

Tarif : 5 € (goûter compris)

Durée : 30 minutes

À partir de 3 ans

Rencontres Jeunes pousses

Rencontres organisées en partenariat avec l’Office artistique de la région Nouvelle Aquitaine, le 18 septembre 2017

La compagnie les Chiens Andalous présente l’Éveil du printemps, d’après Frank Wedekind, adaptation et mise en scène Marion Conejero

La Compagnie des astres présente Un enfantillage, d’après Mariage, de Witold Gombrowicz, adaptation et mise en scène Lara Boric

La compagnie Maurice et les autres, présente Ce qu’on attend de moi / Le monde me quitte de Vincent Guedon, mise en scène Jeanne Desoubeaux

La compagnie L’instant dissonant présente Petits effondrements du monde libre, texte et mise en scène Guillaume Lambert

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