« Sans famille », Hector Malot, Léna Bréban, Comédie-Française, Théâtre du Vieux-Colombier

Sans-famille-Comédie-Française © Christophe-Raynaud-de-Lage

Itinéraire d’un enfant (peu) gâté

Florence Douroux
Les Trois Coups

En reprenant « Sans famille », adapté du roman d’Hector Malot, la Comédie-Française entraîne un public de tout âge dans le difficile parcours d’un petit garçon délaissé à sa naissance. Pas de déluge de larmes, pourtant, car la mise en scène, signée Léna Bréban, formule une proposition adroite entre chagrin et joie de vivre, gravité et franc burlesque, rythmée par des chansons accrocheuses. Véronique Vella et Thierry Hancisse y sont enchanteurs.

Hector Malot souhaitait préserver les enfants de l’ennui de la lecture. Se considérant lui-même « sauvé », des livres fastidieux par la découverte de Racine, Molière et autres, « l’imagination allumée par une étincelle qui ne s’est jamais éteinte », il se mit à écrire pour un jeune public. Dans « Sans famille », il place l’enfant au cœur de l’intrigue, pour permettre à ses petits lecteurs de vibrer au plus près d’émotions familières.

Un roman fleuve et initiatique, qui, dans le contexte de grande précarité sociale qui le préoccupait, conte ainsi les aventures de Rémi, recueilli à sa naissance, puis enlevé de force à la femme l’ayant élevé 8 ans durant. Loué à un saltimbanque autrefois chanteur à l’opéra, il accompagne sur les routes l’homme et ses animaux, musique en bandoulière, et grandit, au rythme de rencontres déterminantes. Au bout d’un périple de plusieurs années, il retrouve sa famille biologique.

Quel casting !

Léna Bréban a resserré les aventures de Rémi autour des personnages les plus déterminants de son jeune parcours : mère Barberin, tendre nourrice, joyeuse et positive (Clotilde de Bayser, d’une énergie rayonnante), Vitalis (Thierry Hancisse, saltimbanque attachant, cœur grand comme ça, oh combien charismatique), Mattia (l’ami indétrônable incarné par Jean Chevalier, dans une gourmandise de jeu jubilatoire). Capi, le chien de Vitalis est joué par Bakary Sangaré (drôle de choix, bien que, comme d’habitude, la présence du comédien soit impeccable), et Joli-Cœur, le singe de la troupe, est une marionnette actionnée par Jean Chevalier. Tout un petit monde qui va, accompagnant l’enfant sur son bonhomme de chemin. Et cet enfant, c’est Véronique Vella.

Il ne faut pas deux minutes pour adhérer, sans réserve, à cette proposition. Loin de jouer l’enfant, d’en surjouer les manières, pas question de tricher, la comédienne montre, et c’est différent, l’enfance, son intimité, ses soubresauts. Elle est l’enfance dans l’inquiétude, l’enthousiasme, la fanfaronnade. Même pas peur ! Je suis Rémi. Elle est l’enfance dans les bruits inquiétants des premières nuits de belle étoile, les pieds qui claquent, corps recroquevillé, voix tremblotante. Une enfance qui reprend courage après l’épreuve, mais, qu’à notre insu, Véronique Vella lâche progressivement. Puisque, cahin-caha, ça y est, Rémi a mûri. Seule une comédienne de cette étoffe pouvait, sans démonstration, faire accoster, semblant de rien, un jeune enfant sur les rives de l’âge adulte.

En chantant

Si le spectacle n’élude pas les malheurs de Rémi, il n’est pourtant pas à l’affût des larmes. Les mots trop douloureux sont relayés en chansons, laissant place à une sensibilité différente. Comme si le dire en chanson était une façon de ne pas se laisser étouffer par l’émotion. Notre enfant chante donc. C’est l’une de ses consolations. Une alternance parlée et chantée d’autant plus légitime que Rémi entre dans une troupe qui se produit. Son mentor, Vitalis – ou « force de vie » – l’initie au spectacle et à la musique.

Rien de plus beau, d’ailleurs, que cette image de salut, de dos, lumière dorée, de cette mini-troupe un beau jour de première… Hommage au théâtre, au public, à cet instant suspendu où, dit le maître, « nous respirons tous d’un même souffle ». Rien de plus beau, non plus, que l’enfant simulant applaudissements et bravos pour son Maître mourant.

Tournette et roue de vie

La scénographie du spectacle est axée sur le mouvement d’une tournette, chemin de ronde autour d’un élément fixe. Car Rémi est un enfant en route, vers son identité, son devenir, en quête des autres et surtout d’une famille. Il marche. Une itinérance de plusieurs années, ponctuée de deuils et de joies, d’écueils et de douceurs. Cruauté, pauvreté, vie à la dure, Il peine et lutte, se réchauffe un peu, et, inlassablement, reprend son bâton de petit pèlerin, gaité en majesté. Une initiation menée tambour battant, jeune garçon aux mollets fouettés par la nécessité d’avancer, portant bravement l’étendard d’une volonté et d’un courage d’acier.

Cette tournette est une belle idée, car tout s’y passe (ou presque). Les paysages y défilent, le temps aussi, les saisons, le froid, la neige, la mort. Initiation de l’enfant, bien sûr, mais pas seulement. Ce voyage cyclique, cette roue qui tourne avec ses revers, c’est une vision des élans et labeurs de tout âge : une vie d’homme, avec ses coups d’arrêt et ses coups de chance ; le boost et le frein, qui ne sont pas l’apanage des enfants. Les comédiens sont agis par cette force qui tourne, manière poétique et ludique d’imager la vie comme un petit manège. Chacun ses grilles de lecture, comme toujours, mais cette roue tellement humaine parlera à tous.

« Mets tes pas dans les miens. Ne pense qu’à ta marche », conseille Vitalis au petit Rémi bien en peine, dans la neige. On n’oubliera pas la voix vibrante de Thierry Hancisse, sa présence enveloppante, incarnant à la perfection cette force de vie qui, à elle seule, a valeur d’initiation et d’apprentissage.

Florence Douroux


Sans famille, d’après Hector Malot

Le texte est édité aux éditions Le Livre de Poche
Mise en scène : Léna Bréban
Adaptation : Léna Bréban, Alexandre Zambeaux
Avec : Thierry Hancisse, Véronique Vella, Clotilde de Bayser, Bakary Sangaré, Jean Chevalier, Marie Oppert, et Antoine Prud’homme de la Boussinière, Alexandre Zambeaux
Dramaturgie : Alexandre Zambeaux
Scénographie : Emmanuelle Roy
Costumes : Alice Touvet
Lumière : Arnaud Jung
Musique originale : Raphaël Aucler et Victor Belin
Marionnette : Carole Allemand
Assistanat à la mise en scène : Axelle Masliah
Assistanat à la scénographie : Chloé Bellemere
Durée : 1 h 40
Dès 7 ans

Théâtre du Vieux-Colombier • 21, rue du Vieux-Colombier • 75006 Paris
Du 20 novembre 2024 au 5 janvier 2025, du mardi au samedi à 19 heures (exceptés les 21, 28 décembre et 4 janvier à 15 heures), dimanche à 15 heures
Représentations avec audio-description le 18 décembre et le 3 janvier à 19 heures
De 12 € à 34 €
Réservations : 01 44 58 15 15 ou en ligne

À découvrir sur Les Trois Coups :
Entretien avec Léna Bréban, par Bénédicte Fantin

Photos : © Christophe Raynaud de Lage

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