« Sans tambour », Samuel Achache, Festival Avignon

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Tambour et cœur battant

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

La compagnie La Sourde explore les liens entre musique et théâtre avec une grande liberté et une créativité jubilatoire. À partir des lieder de Schumann, « Sans tambour » interroge de manière burlesque la notion d’effondrement. Un spectacle musical de haute tenue qui est loin de nous anéantir. On en sort galvanisé.

Côté jardin, des musiciens jouent sous la direction d’un chef d’orchestre azimuté. Côté cour, une baraque avec cuisine en formica. La scène de ménage inaugurale fait littéralement trembler les murs. Tout se déglingue. Comme le concert, dont le contemporain sonne le glas de la musique romantique, la destruction de la maison et la rupture sentimentale marquent le début de la fin. En attente d’un futur sensé, tout ce beau monde va alors cohabiter dans une clinique du cœur dans laquelle on apprend à mieux vivre en oubliant l’amour. Le chant sort des ruines et les instruments de musique des décombres, en même temps que des souvenirs enfouis émergent !

Sous les gravats, se révèle une histoire qui fait écho à la manière dont les crises impactent nos vies. Pour les protagonistes, ces fins sont des tentatives de débuts. S’évertuant à ouvrir de nouveaux imaginaires, voire à dégager des pistes, le metteur en  scène Samuel Achache et son équipe transforment ce monde en liquidation, avec une maîtrise quasi chirurgicale.

Gags à gogo

En jogging et gants Mapa, Lionel Dray est désopilant. Autoproclamé « roi des ratés », il s’est mis en tête de détruire le monde, sauf que cet escogriffe a le cœur trop grand. Sarah Le Picard (qui cosigne le spectacle), incarne sa femme et Iseult. Quant à Léo-Antonin Lutinier, irrésistible, il incarne le poète musicien Tristan. Tous ont du souffle, du panache, un sens inné de la clownerie.

Il faut dire que ces drôles de gus suivent une belle partition. Le spectacle, avant tout musical, intègre un travail sur la prosodie (la musique que l’on fait quand on parle). Tandis que la formidable soprano Agathe Peyrat souligne ce qui est en train de se dire, les autres interprètes suivent la partition contemporaine de Florent Hubert, qui entrelace les lieder de Schumann, ponctuant ou accompagnant cette improbable entreprise d’effondrement.

© Christophe Raynaud de Lage – Festival d’Avignon

Plus rien de romantique, évidemment ! Déjà, les lieder fonctionnent comme des précipités. Bien que non narratifs, ceux-ci tendent vers quelque chose, ils indiquent un mouvement et donc une forme d’action. Ils sont contemporains par leur aspect fragmentaire. Ensuite, dans ce spectacle, les mélodies ne sont plus jouées par une voix et un piano, mais par tout un petit orchestre de fortune, voire juste par un violoncelle, une clarinette dissonante et carrément un piano spécial, dont le son est altéré par des objets placés dans ses cordes. Là encore, une approche très contemporaine !

Enfin, un simple motif suffit à composer. Des éléments cachés de la partition ont effectivement été extraits pour en faire le point de départ d’une création à part entière. Et la musique prend souvent le relais des mots. Cette parole, a priori banale, prend alors une dimension lyrique, devenant même épique. En ouvrant cet abîme intérieur du langage, les notes font entendre le chaos qui a permis à ces mots d’émerger, au-delà de leur signification.

D’ailleurs, la cie La Sourde fonde son travail sur des principes d’écriture musicale intrinsèquement liés à l’action théâtrale : « La musique n’est pas là pour soutenir une action, ou lui donner plus de profondeur ; elle vient lui faire dire autre chose, en faisant s’ouvrir la parole comme un gouffre de sens », explique Samuel Achache.

Comment (se) reconstruire à partir d’un désastre ?

La mise en scène joue de ce décalage entre la musique, en apparence parfaite, et l’environnement, ainsi que l’abattement des personnages. Avec une grande vivacité d’esprit, elle parvient à nous faire rire de tragédies (intimes et sociétales). Les considérations domestiques, sinon triviales, se confrontent à l’idéalisme. Avec ce gaillard qui s’épanche, se morfond, sortant son cœur de la poche, le poing levé, la mélancolie accède à une autre forme d’exaltation !

La scénographie est très réussie. Tandis que la musique est désossée, jusqu’à ne plus en garder que la structure, le décor se démantèle sous nos yeux en quelques minutes. Maison de bric et de broc ouvert à tout vent (justement, ce soir-là, le mistral d’Avignon soufflait fort !), murs modulables, plancher en lambeaux, escalier de travers qui débouche dans le vide, l’ensemble est pour le moins précaire. Comment réparer ? Pourtant, du désastre s’ouvre un vaste champ des possibles.

© Christophe Raynaud de Lage – Festival d’Avignon

Sans tambour est aussi une réflexion sur la mémoire. Pour faire face à la perte, au deuil, on se réfugie souvent dans les souvenirs. Samuel Achache entre donc dans l’espace imaginaire des personnages. À partir des traces, ils réinventent d’autres histoires. C’est ainsi que dans le spectacle, nous voyons tout à coup surgir les figures de Tristan et Yseut, une peinture romantique, une scène de vaudeville.

D’ailleurs, les dialogues fusent, les portes claquent. Quel rythme ! Mais des chutes, tous finissent par se relever. Voilà de quoi envisager la perte comme une possible transformation ! 🔴

Léna Martinelli


Sans tambour, de Samuel Achache

Arrangements collectifs à partir de lieder de Robert Schumann, tirés de Liederkreiss op.39, Frauenliebe und Leben Op.42, Myrthen op. 25, Dichterliebe op 48, Liederkreiss op.24
Cie La Sourde
Avec : Gulrim Choï, Lionel Dray, Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert, Sébastien Innocenti, Sarah Le Picard, Léo-Antonin Lutinier, Agathe Peyrat, Ève Risser
Direction musicale : Florent Hubert
Collaboration à la dramaturgie : Sarah Le Picard, Lucile Rose
Scénographie : Lisa Navarro
Lumière : César Godefroy
Costumes : Pauline Kieffer
Assistanat costumes et accessoires : Éloïse Simonis
Durée : 2 heures

Cloître des Carmes • Place des Carmes • 84000 Avignon
Du 7 au 13 juillet 2022, à 22 heures

Dans le cadre du Festival d’Avignon

Tournée ici :

• Le 9 novembre, Centre d’art et de culture, à Meudon
• Le 16 novembre, Théâtre + Cinéma scène nationale Grand Narbonne
• Du 1er au 5, puis du 7 au 11 décembre, Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national Saint-Denis, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris

• Du 10 au 12 janvier 2023, Théâtre de la Manufacture et Opéra national de Lorraine, à Nancy
• Les 24 et 25 janvier, Théâtre Saint-Louis, à Pau
• Les 3 et 4 février, Points communs, nouvelle scène nationale Cergy-Pontoise Val d’Oise
• Du 22 au 26 février et du 28 février au 5 mars, Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris
• Les 8 et 9 mars, Théâtre de Lorient, centre dramatique national
• Les 16 et 17 mars, Théâtres de la ville de Luxembourg
• Les 28 et 29 mars, Le Grand R, scène nationale de La Roche-sur-Yon
• Les 12 et 13 avril, Théâtre de Caen

À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ « Songs », de l’Ensemble Correspondance et Samuel Achache, par Michel Dieuaide
☛ « Fugue », de Samuel Achache, par Michel Dieuaide

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