Renversant !
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Deux artistes virtuoses de la roue Cyr, Juan Ignacio Tula et Stefan Kinsman, tous deux venus d’Amérique du Sud, offrent un spectacle exceptionnel. Ils sont accompagnés par la compagnie « les Mains, les Pieds et la Tête Aussi » (M.P.T.A.) dans une chorégraphie sauvage et envoûtante.
Santa Madera, le titre du spectacle, fait référence à une cérémonie sacrée très ancienne, pratiquée par des peuples sud-américains pour chasser les mauvais esprits et rassembler la communauté. Envoûtements, exorcismes et culte de la fraternité s’y croisent donc. Si le spectacle proposé par Juan Ignacio Tula et Stefan Kinsman n’en donne pas une illustration (et heureusement !), il en adopte les tonalités sensuelles et farouches.
Santa Madera commence par une installation très lente, rituelle, des éléments du décor et notamment d’une terre brune et fluide, que Stefan Kinsman transvase d’un seau à un autre pour la répandre ensuite autour de lui et former un deuxième cercle, une frontière infranchissable à l’intérieur du chapiteau. Ce n’est qu’alors qu’il introduit la roue, comme s’il en était encore à devoir l’apprivoiser. Ses gestes sont maladroits, hésitants. Le contraste est sensible entre ce corps filiforme, presque fragile, et cette roue qui, bien qu’elle soit évidée, paraît incroyablement lourde, massive, presque autonome.
Ce n’est que prélude à une exploration en images des relations possibles entre deux êtres. Quand Juan Ignacio Tula entre en scène, avec son corps râblé, musculeux, avec le pouvoir qu’il semble avoir d’évidence sur la roue, il est le maître d’apprentissage. Il deviendra progressivement le maître face à l’esclave, mettant en scène des rapports de domination faits de violence et de brutalité. Mais décidément rien n’est univoque dans ce spectacle : les deux circassiens s’étreignent alors tout aussi sauvagement qu’ils se sont battus. Les corps s’enchevêtrent en une sorte d’animal / divinité à huit pattes. Ou encore les rapports s’inversent, le fort et le faible ont changé de rôle et d’autres émotions plus douces, surgissent. La compassion et la tendresse donnent lieu à de magnifiques tableaux évoquant une Pietà. Le sacré est là, dans ces éclats qui parlent de la mort, de la douleur, d’humanité et aussi de bestialité.
Cosmogonie
Ce sacré est religieux, non pas au sens habituel, mais plutôt cosmique, avec un bestiaire constitué de chevaux qui galopent, de monstres de légende dont on entend les grognements, le souffle rauque, la course effrénée. La musique de Gildas Céleste joue d’ailleurs une partition essentielle. Elle insuffle du rythme et scande les affrontements entre les hommes, entre l’homme et une roue qui, de façon inquiétante, semble parfois dotée d’une énergie propre. Quand les deux acrobates la lancent dans l’espace, les rangs de spectateurs se resserrent, tout secoués de frissons.
Une fois célébrée la richesse symbolique des images, leur puissance comme leur justesse, rendons hommage à la parfaite maîtrise technique de la roue Cyr par les deux artistes. Les numéros qu’ils exécutent avec précision montrent une grande aisance dans la manipulation de l’objet, dans une sorte de jonglerie avec les pieds et les mains, une utilisation audacieuse de l’espace. Mais surtout, Juan Ignacio Tula et Stefan Kinsman s’imposent comme danseurs-chorégraphes. Cette succession de pas de deux est d’une beauté à couper le souffle. Elle envoûte et hypnotise comme ces numéros de derviches tourneurs auxquels ils font penser. Elle éclaire des pans de mystère pour mieux nous plonger au cœur des ténèbres. ¶
Trina Mounier
Santa Madera, de Juan Ignacio Tula et Stefan Kinsman, Festival des Nuits de Fourvière à Lyon
De et avec Juan Ignacio Tula et Stefan Kinsman
Regards extérieurs : Mathurin Bolze et Séverine Chavrier
Son : Gildas Céleste
Lumières : Jérémie Cusenier
Costumes : Fabrice Ilia Leroy
Compagnonnage : Compagnie M.P.T.A.
Photo: © Christophe Raynaud de Lage
Les 8 et 9 juillet à 20 h 30
Durée : 1 heure
22 € et 17 €
Les Nuits de Fourvière au Parc de Lacroix-Laval du 1er au 23 juillet 2017
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