Électron libre
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
C’est autour de Johann Le Guillerm que la 2e Biennale internationale des arts du cirque a bâti sa programmation. Avec « Secret (temps 2) », cet immense artiste révèle encore d’autres facettes d’un fascinant paysage obstinément élaboré depuis quinze ans, loin, très loin du cirque traditionnel.
Comment recréer le monde à partir du point minimal ? À partir de cette question toute simple, Johann Le Guillerm a construit un projet carrément fou. Mais cet ambitieux est irréductiblement modeste. D’ailleurs, s’il déploie à chaque fois le grand jeu, ne propose-t‑il pas d’« entrer de plain-pied dans quelque chose de son pas grand-chose », sa « tentative pataphysique ludique » ?
Lorsqu’il s’engage, en 2002, dans Attraction, ce projet de recherche qui interroge les formes, le mouvement et l’impermanence, fait voler en éclats les disciplines traditionnelles. Cet ovni n’a pas perdu de son originalité et de sa puissance. Voilà aujourd’hui l’occasion de faire le point ! En effet, l’aventure emprunte de nombreuses formes : spectacles, performances et expositions (la Motte et les Imperceptibles, sculptures en mouvement, les Architextures, sculptures autoportées, les Imaginographes, outils d’observation). Il ne lui manquait que les mots (bientôt une conférence sera visible) pour parler de « la science de l’idiot, ma science (celle de celui qui ne sait pas mais qui tente de savoir) ».
Points de vue
Pour l’heure, retrouvons Secret, spectacle en perpétuelle mutation, car Johann Le Guillerm n’aura jamais assez d’une vie pour faire le tour de la question. D’emblée, l’homme au torse tonique en impose sur la piste. Et pas seulement parce que son fouet claque : allure reptilienne, regard impassible, grognements caractéristiques… Ce dompteur nous fait démonstration de sa force, sans état d’âme. Ici, point de fauve, mais d’étranges mécaniques, mi-araignées, mi-escargots et… des nœuds. Rien de tel pour démêler le monde ! Car ce rebelle courbe le métal également. Mais pourquoi donc toutes ces planches ?
Monstre ou magicien, Johann Le Guillerm parvient, on ne sait par quel miracle, à faire émerger du chaos des formes très élaborées. Ses frêles embarcations et ses incroyables cabanes nous transportent sur d’autres continents. En haut, comme dans une vigie, le régisseur contribue aussi grandement à la réussite du voyage, avec ses drôles de projecteurs et la commande d’une bande musicale très inspirée d’Alexandre Piques. Ces constructions sont malgré tout bien éphémères, car tout ne tient qu’à un fil, non ?
Attraction s’est constitué à la manière d’un laboratoire de recherches, en postulant le monde comme matière. Un monde soumis à des lois physiques que sont les flux, les équilibres, les énergies, l’espace, le temps, les transformations et autres mutations naturelles. L’artiste mène ses expériences comme un scientifique, mais avec les outils qu’il se crée de façon autodidacte. Tout commence par des observations qui deviennent des expérimentations : « Ce que je vois me cache toujours quelque chose qui est derrière ce que je vois. Premiers vertiges, premiers doutes, premières perturbations des évidences. La suite est encore en train de s’écrire… ».
Lignes de fuite
Accepter de penser contre le monde, c’est bousculer ses repères. C’est pourquoi, en plus du personnage inquiétant, le déséquilibre menace du début jusqu’à la fin. La tension est palpable, sur la piste comme parmi le public. Le tourbillon est permanent, car l’alchimiste fait corps avec la matière, se joue des éléments, manipule aussi les chiffres, révèle l’invisible sans jamais percer le mystère, explorant ainsi, merveilleusement, les frontières du cirque. Tout est savamment orchestré. Pourtant, l’impossible peut advenir.
Quand Johann Le Guillerm dialogue avec le point, l’aventure prend donc des tours extrêmement inattendus. Chacun y verra ce qu’il veut bien y voir : hymne à la démocratie, message de tolérance, ouverture au grand n’importe quoi… On peut surtout vivre le spectacle comme une formidable expérience. Formidable car déroutante, mais terriblement efficace pour changer notre regard sur le monde.
Un dingue, ce rebelle ? Un utopiste, plutôt, qui tend à faire admettre la multiplicité des points de vue. Ne pas subir, mais mieux éprouver les aléas du monde, penser des lendemains meilleurs, les vivre (tant que possible). Un poète radical, surtout, qui résiste pour créer de nouvelles alternatives au prêt-à-penser, à partir d’un paysage imaginaire nourri de physique, de génétique, d’astronomie, de botanique. Bref, un grand, un immense artiste, qui sait préserver le précieux secret des choses. ¶
Léna Martinelli
Secret (temps 2), de Johann Le Guillerm
Cirque Ici • 20, rue Rodier • 75009 Paris
Site : http://rue-cirque-paca.karwan.fr/spip.php?rubrique1849
Conception, mise en piste et interprétation : Johann Le Guillerm
Interprétation musicale : Alexandre Piques
Régie lumière : Cyril Nesci
Régie piste : Franck Bonnot, Zoé Jimenez, Anaëlle Husein Sharif Khalil
Conception lumières : Hervé Gary
Création musicale : Thomas Belhom
Construction machinerie lumière : Silvain Ohl et Maryse Jaffrain
Création costumes : Corinne Baudelot
Réalisation : Anaïs Abel
Réalisation des chaussures : Antoine Bolé
Études de faisabilité des sculptures de cirque : Sylvain Beguin
Réalisation des sculptures de cirque : Silvain Ohl, Maryse Jaffrain, Lucas de Staël, Jean‑Christophe Dumont, Jean‑Marc Delanoye, Georges Matichard
Fiche spectacle : http://www.biennale-cirque.com/fr/programme/secret-temps-2-62
Photo : © Philippe Cibille
Village chapiteaux • plage du Prado • avenue Pierre‑Mendès‑France • 13008 Marseille
Dans le cadre de la 2e Biennale internationale des arts du cirque
Site : http://www.biennale-cirque.com/fr/
Du 26 janvier au 18 février 2017, relâche du lundi au mercredi
Durée : 1 h 40
20 € | 15 € | 8 €
À partir de 6 ans
Tournée 2017
- Du 9 au 11 mars, le Pas grand-chose, au Cirque Théâtre d’Elbeuf
- Le 17 mars, le Pas grand-chose, au C.D.N de Caen, dans le cadre de Spring, festival des nouvelles formes de cirque en Normandie
- Du 21 mars au 1er avril, le Pas grand-chose, au Monfort, Paris
- Les 4, 5, 7 et 8 avril, le Pas grand-chose, au Volcan, scène nationale du Havre
- Du 13 mars au 13 avril, les Imperceptibles, aux Treize Arches, scène conventionnée de Brive
- Les 11 et 12 avril, le Pas grand-chose, aux Treize Arches, scène conventionnée de Brive
- Les 3 et 4 mai, le Pas grand-chose, au Tandem-Hippodrome de Douai / Théâtre d’Arras
Teaser : https://www.youtube.com/watch?v=d0CmZE6rThs