Théâtre dans un fauteuil
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
En cette période spéciale de confinement, les institutions se mobilisent pour fixer de nouveaux rendez-vous et des contenus adaptés sur Internet. Recommandations, chroniques à suivre, expériences inédites à vivre à domicile, respirations poétiques… Voici une sélection de cette foisonnante offre numérique. Focus théâtre.
Le Théâtre national de Strasbourg n’a pas attendu le coronavirus pour imaginer « L’autre saison », dont le principe est la gratuité et l’éclectisme (rencontres, lectures, petites formes). Toutefois, cette saison parallèle est encore mieux adaptée à la situation « Nous inventons des possibles pour amener un peu du TNS chez vous ! », peut-on lire sur la page d’accueil.
Moins riche, mais pas moins intéressant, L’Odéon consacre une rubrique spécifique « Théâtre et canapé » « pour spectatrices et spectateurs en manque en période de confinement ». Outre Stéphane Braunschweig, qui nous parle de sa mise en scène de l’École des femmes, on peut voir des remarquables « making-off », tel « Les Trois sœurs et 522 accessoires (environ) », mais aussi de formidables captations (par « cycles » d’auteurs), des lectures et des entretiens.
Nouvelles matières
C’est le moment de plonger dans les coulisses de la Vie de Galilée, création de Claudia Stavisky, que certains ont déjà pu voir (lire la critique de Trina Mounier) et qui sera reprise l’automne prochain au Théâtre des Célestins. Plus original, le théâtre de Lyon propose « Famille d’artistes » et même de visiter le théâtre. Ne pas manquer un nouveau format qui nous emmène au cœur de la vie théâtrale, quelques heures avant de monter sur scène (comme pour la Mouche de Valérie Lesort / Christian Hecq) ou après, lors du démontage.
Voici une autre occasion de montrer les équipes au travail : dans #DimancheChronique, Benoît Félix-Lombard, partage son journal de chef de salle à La Scala Paris : lors de chaque représentation, il a réuni une citation littéraire en lien avec la pièce à l’affiche, ainsi que ses commentaires sur le déroulé des spectacles et les réactions du public. Les « gens de l’ombre » accèdent enfin un peu plus à la lumière.
La Colline – Théâtre national ne se contente pas de relayer des événements enregistrés. Bien ancrée dans le présent, son équipe invente des façons sensibles et poétiques de retrouver son public : « L’esprit prend ici toute sa puissance. Penser aux autres, avoir en tête le souci, l’inquiétude des autres, c’est là un travail purement spirituel. C’est donc, dans ce malheur et cette tristesse, une possibilité de renouer avec cette puissance. », écrit son directeur Wajdi Mouawad.
Depuis le 16 mars, l’auteur propose ainsi d’écouter chaque jour (du lundi au vendredi à 11 heures) un épisode sonore inédit de son « Journal de confinement » : « récit de sa propre expérience, entre cris de colère et folles espérances, errances théâtrales en pays miné et fulgurances poétiques ». Depuis le 23 mars, les artistes complices (accueillis à La Colline ou partis en tournée,) appellent chaque personne intéressée, pour lui faire lecture de poésie ou de théâtre (du lundi au vendredi, de 16 heures à 19 heures ou de 19 heures à 21 heures). Pour bénéficier de « Au creux de l’oreille », il suffit de remplir un formulaire.
Parmi les autres rendez-vous intéressants : chaque mercredi, avec « Le saviez-vous ? », on peut en découvrir un peu plus sur La Colline (histoire, projets de relations publiques, développement durable, ateliers de construction des décors, etc.). L’occasion de découvrir le théâtre sous un nouvel angle. Et l’on peut poser ses questions sur Instagram. La tribu de La Colline y partage aussi, chaque jour (à 14 heures), une photo prise sur le vif, en sollicitant les internautes sur le thème « De ma fenêtre ». Une bouffée d’air frais !
L’ensemble des propositions s’intitule Les poissons pilotes de La Colline. Une référence en la matière pour tisser des liens privilégiés, au-delà des contraintes. « Merci pour ce partage, murmuré à notre oreille, d’une pensée puissante. Quand le directeur d’un théâtre est aussi un poète, sa parole est acte artistique, générateur d’émotion », commente Alain Neddam (inspecteur théâtre à la Direction générale de la création artistique au Ministère de la Culture).
Et du côté du privé ?
Voilà donc l’occasion unique d’avoir un accès à des contenus souvent inédits. Les collections spéciales dureront le temps du confinement, parmi d’autres propositions éditoriales, et les catalogues sont enrichis chaque jour. Les entreprises privées n’ont pas à assumer ces missions de service public. En revanche, beaucoup font un bel effort. La plateforme de SVOD spécialisée dans le spectacle vivant, Opsis TV, offre un accès gratuit à son catalogue pendant 1 mois. De quoi être définitivement conquis par cette possibilité de « voir le spectacle vivant autrement » car on n’y découvre, finalement, qu’une partie infime des captations (théâtre, danse, opéra), ainsi que des masterclass et documentaires passionnants.
Quant aux théâtres privés, l’actualité (dont le report de programmations) est à suivre sur le site des Théâtre parisiens associés. Le Théâtre Funambule Montmartre vient de lancer la chaîne Funambule TV : « Grâce à la solidarité de nombreuses compagnies qui jouent, ou ont joué au Funambule, nous sommes en mesure de vous proposer, sur les semaines à venir, un spectacle par jour en vidéo, disponible pendant deux jours, gratuitement ». Les spectacles tout public sont mis en ligne à 21 heures et les spectacles jeune public à 11 heures, un jour sur deux (suivre le planning). Autre initiative à saluer : Le Théâtre de la Reine Blanche partage la vidéo de Majorana 370, de Florient Azoulay et Élizabeth Bouchaud, jusqu’au 5 avril.
Cette mobilisation sans précédent prouve que les institutions théâtrales sont bel et bien connectées. Cependant, la salle de spectacle nous manque terriblement. On peut râler devant son voisin hirsute qui vous gâche la vue, ou supporter celui d’à côté qui pique du nez toutes les trois minutes, mais comme c’est bon de partager le trac des acteurs à leur entrée, sur scène, de vibrer à l’unisson jusqu’aux applaudissements.
Car le spectacle vivant ne se résume pas à une proposition artistique. C’est une expérience qui se prolonge bien au-delà du spectacle, déjà source d’indicibles émotions. La représentation est une aventure en soi, comme l’explique si bien Marie-Madeleine Mervant-Roux, directrice de recherche émérite au CNRS et enseignante-chercheuse à l’université de la Sorbonne-Nouvelle, dont l’approche anthropologue est éclairante pour comprendre les caractéristiques d’un public en interaction avec d’autres humains, bref une communauté sensible. Profitez donc aussi du confinement pour lire L’Assise du théâtre, Pour une étude du spectateur, CNRS éditions, 1998). Avant de nous relever de cette épreuve. ¶
Léna Martinelli
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☛ Culture en libre service, par Léna Martinelli