Sélection de la rentrée 2020, en France

Entreprise-Anne-Laure-Liegeois © Christophe-Raynaud-de-Lage

Au programme des institutions théâtrales : tragédies, odyssées et contes contemporains

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Janvier. L’occasion de vous souhaiter de belles découvertes, malgré une rentrée sous tension. Nos théâtres sont autant de chambres d’échos des crises qui traversent notre société, mais aussi de nos maux éternels, de nos inconsolables peines. Et dans ce contexte délétère, si nos théâtres comptent sur la présence des publics, ces derniers ont plus que jamais besoin de vivre des émotions, de penser, de rêver. D’espérer ensemble.

Quand parler du travail devient nécessaire et urgent. Anne-Laure Liégeois (dont on avait tant apprécié The Great Disaster de Patrick Kermann) s’appuie sur trois textes écrits à plus de cinquante ans d’intervalle, des pièces qui décrivent des époques différentes, mais qui ont en commun de poser un regard décalé sur le travail de bureau. Avec une approche tendant vers l’absurde, furieusement drôle et sans concession, Entreprise, déclinaison en trois pièces – le Marché de Jacques Jouet (2020), l’Intérimaire de Rémi De Vos (1995) et l’Augmentation de Georges Perec (1968) – traite, par le rire, de notre rapport au labeur. Actuellement créé au Volcan, scène nationale du Havre, le spectacle entame une belle tournée.

Pour divaguer sur les transformations à l’œuvre, du travail mais aussi de nos modes de vie, le TNI / Théâtre national immatériel présente Nickel au Nouveau Théâtre de Montreuil du 16 janvier au 1er février. Créé au Centre dramatique national de Tours – Théâtre Olympia, où la metteure en scène Mathilde Delahaye est artiste associée (et également au Théâtre National de Strasbourg), ce spectacle est né d’une rencontre avec la communauté de voguing parisien. On est devant une usine de nickel, à l’heure de la fermeture : son dernier ouvrier vient nous parler du monde du travail ; puis, nous voici, vingt ans plus tard, au même endroit : le Nickel Bar a remplacé le lieu industriel ; puis encore deux décennies passent : on trouve alors une étrange communauté surnageant dans les ruines du capitalisme. « Une invitation généreuse à rejoindre la quête d’un être-ensemble libre et sauvage », lit-on dans la note d’intention.

Phèdre-Racine-Brigitte-Jaques-Wajeman © Mirco Magliocca
« Phèdre », de Racine, mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman © Mirco Magliocca

De sauvagerie, il en est encore question dans Électre / Oreste, mis en scène par Ivo van Hove (lire la critique de Léna Martinelli). La tragédie enflamme toujours les cœurs. Brigitte Jaques-Wajeman s’attaque justement au sujet brûlant de l’amour, monstre dévorateur : après avoir longuement exploré le théâtre de Corneille, elle met en scène Phèdre, la plus célèbre tragédie de Racine. C’est notre coup de cœur de la rentrée. On est ressortie chavirée. À voir absolument au Théâtre de la Ville – Les Abbesses du 8 au 25 janvier (lire la critique de Léna Martinelli).

Autre tragédie du désir de Racine, Bérénice finit sa tournée (avec un passage à Points Communs, Nouvelle scène nationale de Cergy-Pontoise les 16 et 17 janvier et au Théâtre de Sartrouville les 21 et 22 janvier). Célie Pauthe fait dialoguer ce monument théâtral sur l’empire de la passion avec un court-métrage de Marguerite Duras. Une tragédie incandescente.

Nous-l-Europe-banquet-des-peuples-Laurent-Gaudé-Roland-Auzet © Christophe Raynaud de Lage
« Nous, l’Europe, banquet des peuples », de Laurent Gaudé, mise en scène de Roland Auzet © Christophe Raynaud de Lage

Également amateur de poèmes tragiques, épiques et flamboyants, Laurent Gaudé narre, quant à lui, l’histoire mouvementée, longtemps guerrière, de ce vieux continent que l’on nomme Europe. Créé lors du Festival d’Avignon, Nous, l’Europe, banquet des peuples entame une longue tournée dans toute la France, avec une série au Théâtre Gérard Philipe, Centre dramatique national de Saint-Denis du 25 mars au 2 avril (Lire la critique de Juliette Nadal). Ce texte contemporain mis en scène par Roland Auzet, en faveur d’une Europe solidaire, transcende le discours politique : aujourd’hui, « l’Europe semble avoir oublié qu’elle est la fille de l’épopée et de l’utopie », écrit l’auteur.

Une autre odyssée, présentée dans le cadre du Festival d’Avignon, est également visible : Architecture de Pascal Rambert (lire la critique de Lorène de Bonnay), avec une distribution de premier choix (Emmanuelle Béart, Audrey Bonnet, Anne Brochet, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey, Denis Podalydès, Laurent Poitrenaux, Jacques Weber…). Après les Bouffes du Nord, le spectacle est joué en Ile-de-France aux Gémeaux, scène nationale de Sceaux, du 24 janvier au 1er février.

Invisibles-Nasser-Djemaï © Philippe-Delacroix
« Invisibles », de Nasser Djemaï © Philippe Delacroix

Les récits fondateurs inspirent décidément nombre d’auteurs, comme Nasser Djemaï : Invisibles, sous-titré, « La Tragédie des chibanis » («cheveux blancs » en arabe), relie le drame des travailleurs immigrés à la retraite à la descente aux enfers de l’Énéide. Le protagoniste affronte les fantômes du passé, le sien, mais aussi ceux des émigrés maghrébins coincés dans un foyer Sonacotra. Racisme, solitude, absurdité des rapports sociaux dans nos villes, à nos portes, composent donc cette tragédie moderne (lire la critique de Léna Martinelli).

Outre la reprise d’Invisibles à la MC93, du 11 au 18 janvier, deux autres pièces de cet auteur contemporain sont à l’affiche à La Colline (elles tourneront ensuite). Héritiers (du 9 au 22 janvier) place Julie face à son héritage, dans un monde en pleine mutation, tandis que Vertiges (du 29 janvier au 8 février) traite des banlieues, des cités, bref des quartiers dits « sensibles », mondes parallèles tout près de chez nous et lieux qui cristallisent les peurs. L’ensemble compose une trilogie autour du « pourrissement, celui des déceptions et des humiliations qu’à petites doses transmettent à leurs descendants ceux qui ont vécu l’exil et les arrachements dans les plis invisibles de silences, de petits riens et de murmures à peines audibles », précise Nasser Djemaï.

Contes-et-légendes-Joël-Pommerat © Élisabeth Carecchio
« Contes et légendes », de Joël Pommerat © Élisabeth Carecchio

Autre artiste incontournable : Joël Pommerat, dont les créations constituent toujours un événement. Porté par d’autres comédiens que ceux de sa troupe habituelle, Contes et légendes se présente comme un spectacle d’anticipation mettant en scène des adolescents et des robots humanoïdes. Comment faire exister des corps, des voix, des individus ? L’auteur poursuit sa recherche d’incarnation à travers cette question passionnante de l’humanité artificielle. À découvrir au Théâtre Nanterre-Amandiers, du 9 janvier au 14 février (lire la critique de Trina Mounier).

Ce beau programme va donc embraser nos scènes. Voix et corps entremêlés, diaspora de langues, audaces stylistiques témoignent du foisonnement créatif actuel.

Pour finir sur une note plus légère, tendre et fantaisiste, il est encore possible de voir Incertain monsieur Tokbar en Ile-de-France, au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines du 16 au 18 janvier, avant les ultimes représentations en régions. « Les spectacles de Michel Laubu sont de merveilleux stimulants pour l’imagination. Son dernier opus, signé avec Émili Hufnagel, est sans doute l’un des plus aboutis. Mieux encore, leur inaltérable tendresse nous rend heureux », s’enthousiasme Trina Mounier (lire sa critique ici).

Voici donc quelques spectacles pour bien démarrer 2020 ! Bonne année à tous nos lecteurs ! 

Léna Martinelli


Entreprise, d’Anne-Laure Liégeois • Tournée ici

Nickel, de Mathilde Delahaye et Pauline Haudepin • Tournée ici

Électre / Oreste, d’Euripide, mise en scène d’Ivo van Hove • La Comédie-Française jusqu’au 16 février • Infos ici

Phèdre, de Racine, mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman • Tournée ici

Bérénice, de Racine, mise en scène de Célie Pauthe • Tournée ici

Nous, l’Europe, banquet des peuples, de Laurent Gaudé, mise en scène de Roland Auzet • Infos ici • Tournée ici

Architecture, de Pascal Rambert • Infos ici • Tournée ici

Invisibles, Héritiers, Vertiges, de Nasser Djemaï • Tournée ici

Contes et légendes, de Joël Pommerat • Tournée ici

Incertain monsieur Tokbar, du Turak Théâtre • Tournée ici

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