Bossuet, théâtral
et actuel
Par Céline Doukhan
Les Trois Coups
Patrick Schmitt redonne vie au « Sermon du mauvais riche » de Bossuet, un texte qui sidère par son actualité.
Avec son port altier et son regard pénétrant, sa voix claire et fermement posée, on se plaît à imaginer Bossuet sous les traits de Patrick Schmitt, et l’on devine comment le prédicateur né en 1627 avait pu être surnommé « l’Aigle de Meaux ».
Quand il prononce ce sermon devant Louis XIV et la cour, Bossuet a 34 ans. Il faut se le figurer jeune, et non pas en quinquagénaire ventripotent tel qu’il figure dans les livres d’histoire. Quant au roi, il est âgé de 25 ans. Moment passionnant que ce face-à-face entre ces deux hommes jeunes dont l’un est déjà au comble du pouvoir et de la richesse. Et Bossuet, lui, ne fait pas de cadeaux à la cour et au souverain. En ce carême de 1662, après une année 1661 terrible marquée par un été caniculaire puis un hiver glacial, il représente à ses auditeurs ces mauvais riches qui, seulement préoccupés par l’accroissement de leur bien, sont sourds au sort des pauvres.
Se glissant avec habileté dans ce texte sublime, Patrick Schmitt s’adresse ainsi à l’auditoire en décalant, voire en dédoublant l’effet culpabilisant que le sermon devait produire sur son royal auditoire. En effet, le public d’Avignon n’est certes pas la cour de Versailles, mais il est impossible de ne pas recevoir le message de Bossuet tant il est aisé de se reconnaître dans ces nantis décrits par le prédicateur ; nous qui, de bonne foi, pensons que « on n’aurait plus d’attaches aux richesses si on en avait ce qu’il faut ». Mais, en outre, le message de Bossuet touche d’autant plus qu’il a écrit ce sermon voilà plus de trois cents ans ; et qu’il aurait pu écrire la même chose (ou quoi d’autre, on se le demande avec curiosité) aujourd’hui.
Patrick Schmitt n’a jamais besoin de forcer le trait pour communiquer l’incroyable actualité de ce texte qui, certes non pas écrit pour être joué sur une scène de théâtre, l’a été pour être dit, proféré devant un auditoire. Ces phrases amples et directes semblent rouler toutes seules en bouche. Il suffit en effet au comédien, d’une façon en apparence sereine et naturelle, de ponctuer son discours de subtiles inflexions de la voix et de simples mouvements de ses grandes mains pour faire résonner la profondeur du sermon. Hors de question, comme il le dit lui-même, de verser dans la véhémence et la surenchère. Le texte regorge déjà d’images parlantes, comme celle des richesses comparées à des cheveux. Que l’on soit chauve ou pourvu d’une chevelure abondante, la douleur d’un cheveu qu’on arrache est la même. De même, le riche souffre tout autant que le pauvre quand quelque bien vient à lui être ôté. C.Q.F.D.
Et que dire de l’actualité troublante du passage consacré à l’homme pressé par ses affaires, pour qui « toutes les heures s’écoulent trop vite, toutes les journées finissent trop tôt », et qui ne prend jamais le temps de songer à son salut. Qui, aujourd’hui, met ainsi nos dirigeants devant leurs responsabilités ? Qui, à un tel niveau de pouvoir et d’influence, leur tient un discours si exigeant, d’une si haute moralité ?
Les spectateurs sont nombreux, la centaine de places de la chapelle de l’Oratoire est presque entièrement occupée. Comme si ce spectacle au propos et à la forme atypique sonnait étrangement juste à nos oreilles formées et déformées par l’insignifiant et dévastateur brouhaha de la société de consommation. ¶
Céline Doukhan
Sermon du mauvais riche, de Jacques-Bénigne Bossuet
La Forge-Cie Patrick-Schmitt • 19, rue des Anciennes-Mairies • 92000 Nanterre
Conception et interprétation : Patrick Schmitt
Costume : Jean-Pierre Nortel
Photo : Marc Enguérand
Chapelle de l’Oratoire • 32, rue Joseph-Vernet • 84000 Avignon
Réservations : 06 64 64 01 51
Du 5 au 27 juillet 2014 à 11 heures, relâche les 8, 12, 15, 19 et 22 juillet
Durée : 1 heure
17 € | 12 €