« SHIFT », « Le Tarot de la Nuit », reportage, Festival Chalon dans la rue OFF 2025, Chalon-sur-Saône

SHIFT-Cie-Lanterne-Rouge © Stéphanie Ruffier

Échappées du réveil jusqu’à la nuit tombée

Stéphanie Ruffier
Les Trois Coups

Durant le fourmillant festival des arts de la rue, Chalon rime avec profusion, agitation et sur-sollicitation. Certains spectacles nous conduisent toutefois sur des chemins de répit où, halte-là, se décantent des rêveries. Une attention portée à la nuit.

Agitées les nuits chalonnaises ? Surtout quand une escouade de CRS déloge avec matraques et noms d’oiseaux une fête impromptue et de petits campements intempestifs. La tolérance municipale a ses limites ; on se souvient aussi d’un arrêté tentant d’interdire le drapeau palestinien. La compagnie Lr-Lanterne rouge propose bienheureusement des réveils plus doux. À 8 h 30, au fil de l’eau en bord de Saône, un homme trace à la craie une phrase, en marquant des pauses judicieuses : « Parfois on regarde les choses telles qu’elles sont, en se demandant pourquoi ? » Le public matinal, casque sur les oreilles, laisse infuser des monologues fantasmagoriques tenus par des personnages aux allures réalistes.

Faire venir à soi des images

Piano piano, la déambulation bascule dans le coq à l’âne du rêve. Attraper Macron au vol, épouser Prince, traverser Burger King sans odeur de frites… Quelques costumes et accessoires fantasques tranchent avec le vert alentour. SHIFT, né d’une récolte de rêves durant le confinement, redouble la sensation d’être là / ailleurs / enfermé / au grand air avec son dispositif casqué dans un paysage ouvert. Dans l’air flotte le pourquoi pas. Malgré des rangées de barrières qui, hélas, ne sont pas le fait de la compagnie, mais rappellent bien les restrictions et autres contraintes de la période Covid. On trottine sur un fil agréablement décousu, passant à côté de festivaliers profondément endormis dans l’herbe, emmitouflés dans leur sac de couchage. Parfaite symbiose.

« SHIFT » Cie LR-Lanterne Rouge © Thomas Lamy / Stéphanie Ruffier

L’écriture, élégante, joue avec les langues. Mais pas assez avec les cadeaux de l’in situ. Par ailleurs, l’affiche du spectacle (un âne sous capuche) laissait espérer des images bien plus décalées et surréalistes dans le paysage. La narration, justement, paraît soudain emprunter une autre piste avec la thématique du shift, auto-hypnose pratiquée par les adolescents pour s’inventer une réalité alternative. S’hybrider. La mise en scène nous laisse plonger dans notre propre imaginaire sur fond sonore de témoignages documentaires. On contemple le lointain… tandis que des policiers verbalisent des tentes.

À la tombée de la nuit

À l’autre extrémité de la journée, « la colombo de la voyance » incarnée par la comédienne Émilie Olivier privilégie une ambiance nocturne. « Objectif nuit blanche », annonce-t-elle, devant un dispositif mi-forain mi-bureau d’enquêtrice. Martine avait rêvé « d’effets à la David Copperfield », mais des coupes de budget dans la culture l’ont rendue plus modeste. Le Tarot de la Nuit cache bien son jeu. Sous des atours de consultation divinatoire menée par une sorte de Vamp à blouse et fard à paupières à la truelle, le solo s’échappe de la lecture de cartes. Si on sent que le Diable a les préférences de la dame, maître de l’ego et des désirs avec sa langue sur le ventre, il n’est que prétexte pour s’interroger : la nuit est-elle plus dangereuse que le jour ? Spoiler alerte : elle est plus diabolisée que diabolique.

« Le Tarot de la Nuit », Cie Midi à l’Ouest © Thomas Lamy / Stéphanie Ruffier

Construite sur une galerie de portraits d’habitants et de scientifiques un poil caricaturaux, solidement campés par Martine, voilà une passionnante enquête de terrain sur le sujet de la nuit. Dans ce seule en scène parfois clownesque, elle puise dans la psycho-géographie une volonté de réhabiliter le noir (oui, oui, avec un jeu sur l’ambiguïté du terme). On entre avec la cartomancienne passeuse dans le monde des truands, des prostituées, des chauves-souris, des cueilleurs de cèpes (!) pour mieux jeter le torchon des clichés. Haro sur la surveillance citadine instaurée par Haussmann, ainsi que sur la pollution lumineuse de nos villes modernes. Questionnement du label « réserve nuit étoilée »… Éclairant ! On rit beaucoup de la délicatesse Caterpillar et des mimiques de cette passionnante vieille à grosses lunettes. On repart avec le désir de se re-familiariser avec la nuit.

Stéphanie Ruffier


Photo de une : « SHIFT », Cie LR-Lanterne Rouge © Thomas Lamy / Stéphanie Ruffier

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