« Showgirl », Marlène Saldana, Jonathan Drillet, Théâtre de la Bastille, Paris

Showgirl- Marlène-Saldana-Jonathan-Drillet © Narcisse Agency et Thomas Hennequin

Pour l’amour du show

Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups

« Showgirl » est une déclaration d’amour toute personnelle de Marlène Saldana au film de Paul Verhoeven et à son actrice principale Elizabeth Berkley. Il ne s’agit pas d’une énième adaptation d’un film au théâtre mais bien d’une performance. Tout en retraçant le scénario original sur des musiques de Rebeka Warrior, Marlène Saldana et Jonathan Drillet interrogent la place risquée de l’interprète dans la création.

La pénombre inaugurale nous fait glisser dans le monde interlope des clubs de striptease de Las Vegas. L’obscurité met en valeur la violence de la tirade qu’adresse le gérant d’un de ces clubs à l’héroïne Nomi Malone. Fraîchement arrivée à Las Vegas pour tenter sa chance comme danseuse, cette dernière fait face aux pires avatars du capitalisme sauvage jusqu’à devenir meneuse de revue dans le club le plus prisé de Vegas. Inspirée, pour la forme, par le film Trapped In The Closet où un même acteur chante tous les rôles d’un soap-opera, Marlène Saldana passe d’un personnage à l’autre en alternant scènes dialoguées et parties chantées.

Le spectacle joue sur différents plans. Marlène Saldana se place tantôt à l’intérieur de la fiction en endossant les rôles des différents personnages du scénario, tantôt à l’extérieur, lors d’apartés cinéphiles avec son acolyte Jonathan Drillet. Ces moments dialogués plein d’humour et de complicité sont des respirations bienvenues qui apaisent le rythme lancinant des chansons imaginées par Rebeka Warrior. La commande de Marlène Saldana et Jonathan Drillet à l’artiste était certes claire « On lui a donné la même consigne que Verhoeven au compositeur Dave Stewart : Fais de la musique de merde. De préférence, avec les rimes les plus pauvres possibles ! ». Mais les paroles obscènes scandées sur de la musique techno ont beau être un parti pris assumé au service du propos, elles n’en restent pas moins éprouvantes à écouter.

Humour et audace

Marlène Saldana met en abyme son interprétation en jouant aussi bien le personnage de Nomi Malone que l’actrice l’ayant incarnée à l’écran sous la direction de Paul Verhoeven. Marlène Saldana devient alors Elizabeth Berkley qui demande si elle en fait trop ou pas assez au réalisateur dont elle tente de déchiffrer les indications de jeu. Lors du tournage, Paul Verhoeven cherche un jeu très expressionniste et demande à l’actrice de s’inspirer d’Ivan le Terrible d’Eisenstein, ce qui lui vaudra d’être moquée par la critique.

À l’instar de la recherche esthétique du réalisateur, la scénographie défie avec humour les codes du « bon goût », en agençant sur scène une verge lumineuse, des fleurs artificielles, un volcan-mamelon (qui n’est pas sans rappeler Oh les beaux jours de Samuel Beckett), ou encore un escalier en cheveux synthétiques ! Le kitsch, assumé, fait référence au film sorti en 1995.

C’est aussi la nudité de l’actrice, omniprésente dans le film de Paul Verhoeven, qui avait suscité le mépris. La nudité d’Elizabeth Berkley est transposée au plateau par Marlène Saldana qui se change et se dévêtit à vue, avec la complicité du personnage de régisseur / habilleur / confident interprété par Jonathan Drillet. « Il va falloir que j’apprenne à me reconstruire socialement après tout ça » : toujours avec humour, la performance de la comédienne et les risques pris se confondent avec la trajectoire d’Elizabeth Berkley, mise au ban d’Hollywood sans que Verhoeven ne prenne sa défense face à la critique.

Showgirl est un spectacle dérangeant et émouvant, à la fois hommage cinéphile et réflexion sur l’exposition sauvage des interprètes – et en particulier des interprètes femmes – sur scène ou à l’écran. Contrairement à Elizabeth Berkley, Marlène Saldana dirige sa création en plus de l’interpréter. C’est donc la comédienne qui choisit de s’exposer et elle le fait avec une bonne dose d’humour et d’audace. 🔴

Bénédicte Fantin


Showgirl, de Marlène Saldana et Jonathan Drillet

Librement inpiré du film de Paul Verhoeven Showgirls (1995)
Conception, texte et interprétation : Marlène Saldana et Jonathan Drillet
Création musicale : Rebeka Warrior
Mix : Krikor
Conseil chorégraphique : Mai Ishiwata
Scénographie : Sophie Perez
Sculpture : Daniel Mestanza
Création costumes, maquillage et perruques : Jean-Biche
Lumières : Fabrice Ollivier
Son : Guillaume Olmeta
Assistant : Robin Causse
Régie générale : François Aubry dit Moustache
Durée : 1 h 25
Dès 16 ans

Théâtre de la Bastille • 76 rue de la Roquette • 75 011 Paris
Du 26 février au 9 mars 2024 (relâche jeudi 29 février, dimanche 3 et jeudi 7 mars) à 20 h 30, les samedis à 18 heures
De 15 € à 25 €
Réservations : 01 43 57 42 14 ou en ligne

Tournée :
• Du 12 au 14 mars, CDN Besançon, Franche Comté
• Du 17 au 19 avril, Le Quartz, scène nationale de Brest

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Photos © Narcisse Agency © Thomas Hennequin

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