« Soft virtuosity, still humid, on the edge », de Marie Chouinard, Opéra Berlioz, le Corum, Montpellier Danse, à Montpellier

« Soft virtuosity, still humid, on the edge », de Marie Chouinard © Nicolas Ruel

En marche… vers l’inconnu 

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Dans « Soft virtuosity, still humid, on the edge », Marie Chouinard est partie de la marche. En état de grâce, ses traversées de la scène et du monde nous mènent loin, pour une épopée aux confins de la folie. Coup de cœur de Montpellier Danse.

Inépuisable sujet, la marche inspire les créateurs. Avec ses destinations précises, ses points de départ vers des mondes inconnus, ses chutes, elle traduit l’inexorable mouvement de la vie. D’ailleurs, telle une sismographe, Marie Chouinard en explore toutes les vibrations, les différentes temporalités : « La marche, c’est une façon de se promener dans tous les possibles… J’ai effectivement demandé aux danseurs de marcher et j’ai amplifié leurs états d’âme, car le corps se transforme en fonction de ses dispositions émotionnelles ou psychiques ».

La chorégraphe déforme alors la course, la ralentit à l’extrême, joue sur le rythme. Des personnages se croisent, forment des unions, avant de cheminer ailleurs, vers de mystérieux destins. Mais Marie Chouinard va au-delà de la simple étude du mode de déplacement. Ces déambulations et trajectoires sont autant de traversées passionnantes, car elles composent une fresque poignante, entre plusieurs tableaux énigmatiques.

Ainsi, après ces solitudes claudicantes ou les pérégrinations d’anonymes qui fendent la foule, des couples assis sur un socle tournant, comme des statuettes tibétaines représentant un dieu et sa parèdre, évoquent de manière ludique les ébats d’une intense relation. Si les interprètes peinent à évoluer quand ils sont seuls, ou fusionnent dans les duos, ils semblent trouver l’équilibre dans les ensembles, mais ils doivent subir de terribles épreuves. Tragique, la séquence inspirée du Radeau de La Méduse montre un magma humain en proie à la violence des éléments, à moins que ce ne soit celle des hommes. Pendant près de vingt minutes, de cour à jardin, ou plutôt du paradis perdu à l’enfer, ces héros bravent la mort, avec l’horizon en ligne de mire. On pense évidemment aux migrants.

Kaléidoscope émotionnel

Marie Chouinard grande figure de la création chorégraphique québécoise, aime expérimenter les multiples dimensions du corps, sa relation à l’esprit et à la matière. Ses spectacles audacieux peuvent déranger. En tout cas, ils ne laissent jamais indifférents. Souvent baroques, ils traduisent la folie du monde avec une rare poésie.

« Soft virtuosity, still humid, on the edge », de Marie Chouinard © Nicolas Ruel
« Soft virtuosity, still humid, on the edge », de Marie Chouinard © Nicolas Ruel

Sa technique sophistiquée nécessite de longs mois de travail pour permettre à ses interprètes d’exprimer, non pas des émotions clairement identifiées, mais des états d’une impérieuse nécessité. Ainsi, pour être comparable à la puissance des animaux en rut, soumis à leurs pulsions, la transformation des visages doit naître des viscères, plus précisément d’une torsion engendrée dans le ventre. Et souvent, le résultat nous tord les tripes. Oui, sa danse nous saisit d’emblée, elle épuise presque autant ses spectateurs que ses interprètes. Toutefois, ces unions orgasmiques, la souffrance et l’extase revigorent aussi. Tour à tour païenne et sacrée, cette danse-là célèbre la vie sous toutes ses formes, même empreinte de violence.

Sauvage et raffinée, son écriture des corps est tout à la fois théâtrale et cinématographique. Déjà, peu de chorégraphes montrent aussi bien les visages. Filmés et projetés en live, ces derniers emplissent l’espace. Les projections démultiplient l’action. Ensuite, ces plans serrés sur un regard qui dévie, une expression dénuée de toute intrigue, alternent magnifiquement avec ce plan large qui esquisse la marche de l’humanité. Celle d’hier à aujourd’hui.

Cette plongée dans les abysses revêt une dimension extrasensorielle. Sans doute car cette recherche, que Marie Chouinard définit comme « un point de fuite vers l’innommable », revêt des formes aussi diverses que la poésie, le dessin, la photographie, le cinéma, l’installation ou les nouvelles technologies. Ici, le travail plastique est admirable. Nourri de références picturales (Goya, Velázquez, Brueghel, Bosch), le spectacle baigne dans de sublimes lumières, mais aussi dans des environnements musicaux d’une sensibilité extrême, qui jouent littéralement sur les nerfs.

Corps aux aguets, résonances entre la matière humaine, les images et les sons, infimes fluctuations rendues visibles… Décidément, l’œuvre incandescente de Marie Chouinard mène vers des ailleurs insoupçonnés. 

Léna Martinelli


Soft virtuosity, still humid, on the edge, de Marie Chouinard

Compagnie Marie-Chouinard    

Chorégraphie, scénographie, costumes et accessoires : Marie Chouinard 

Avec : Sébastien Cossette-Masse, Paige Culley, Valeria Galluccio, Leon Kupferschmid, Lucy M. May, Mariusz Ostrowski, Sacha Ouellette-Deguire, Carol Prieur, James Viveiros, Megan Walbaum

Musique originale : Louis Dufort 

Lumières : Marie Chouinard, Robin Kittel-Ouimet

Consultant vidéo : Jimmy Lakatos

Directeur artistique en tournée : Jean-Hugues Rochette

Durée : 1 heure

Teaser vidéo    

Photo : © Nicolas Ruel

Opéra Berlioz, le Corum • Esplanade Charles-de-Gaulle • 34000 Montpellier

Dans le cadre de Montpellier Danse

Le 1er juillet 2017, à 20 heures

Réservations : 0 800 600 740

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