L’« Amsterdam » déchirant de Lionel Suarez
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
Sous le grand chapiteau installé dans le parc du Thabor à Rennes, Le Grand Soufflet a connu une soirée d’inauguration très prometteuse.
Privé de son parrain, Jean Corti, pour raisons de santé, le festival s’en est choisi un autre en la personne de Lionel Suarez, plus jeune mais également talentueux. La liste des artistes qui lui ont fait confiance peut en témoigner : Claude Nougaro évidemment, mais aussi Jean Rochefort, Roberto Alagna, Véronique Sanson, Bernard Lavilliers, Maurane et nombre de musiciens de jazz. C’est à lui, bien entendu, qu’a été dévolue la mission d’ouvrir le festival.
Lionel Suarez solo : émotion, rythme et harmonie
L’accordéoniste toulousain ouvre le bal, si l’on peut dire, avec Rimes de Nougaro (sur une musique d’Aldo Romano). « Chez moi, c’est comme ça », observe-t-il avec malice, « on commence avec Nougaro ». On ne le regrette pas, car l’interprétation est vraiment somptueuse, atteignant une dimension qu’on ne lui connaissait pas. L’impression est similaire avec une valse en hommage à Jean Corti, précédée d’une sorte d’ouverture lente, comme on dit à l’opéra. La valse, elle, bénéficie d’une grande richesse harmonique et d’une vitesse d’exécution remarquable. On retrouvera cette virtuosité dans une autre danse puis dans un morceau brésilien. Mais, toujours, Lionel Suarez sait rendre sensible la pulsation : héritage du jazz ?
Pour moi, néanmoins, le grand moment du concert aura été Amsterdam de Brel. Lionel Suarez donne de cette chanson, qui n’a jamais convaincu Brel lui-même malgré l’énorme succès public, une version totalement déchirante. Son interprétation rend parfaitement compte du crescendo dramatique de la chanson jusqu’à sa fin quasi cosmique.
Pour ceux qui auraient manqué cette première prestation de Suarez, ils auront l’occasion de se rattraper, car l’accordéoniste est présent sur d’autres projets, dont une création, au cours du festival.
Orchestre national de Barbès : c’est la fête !
Cet ensemble franco-maghrébin est né en 1996. C’est dire qu’il est aussi dans sa vingtième année : vous avez vu le clin d’œil ! Parmi les dix musiciens sur la scène ce soir, on ne trouvait, outre Youssef Boukella (l’initiateur) que deux autres membres historiques de l’Orchestre national de Barbès (O.N.B.) : Kamel Tenfiche (percussions, chant) et Mehdi Askeur (accordéon et chant).
Pour Le Grand Soufflet, Mehdi Askeur a l’honneur de lancer le concert par un chant qui a tout l’apparence d’un traditionnel du Maghreb. Kamel Tenfiche lui succède avec un air très dansant. Comme il assure aussi, en quelque sorte, le rôle de Monsieur Loyal, il en profite pour solliciter et chauffer le public.
À l’exception d’une ballade qui permet à Taoufik Mimouni de signer sur son clavier un joli passage évoquant une complainte à la clarinette orientale, le reste du programme est plein de couleurs, d’énergie et pour tout dire tout à fait dansant et festif. C’est l’occasion de saluer l’omniprésence de Mamoun Mekenez Dehane à la batterie. On signalera aussi quelques belles échappées de Khliff Miziallaoua à la guitare.
Mais la révélation récente de cette version de l’O.N.B. est à coup sûr le jeune titi parisien Basile Théoleyre (trompette et chant). Tel un elfe bondissant, on le voit danser et sauter d’une extrémité à l’autre de la scène. Qu’il chante Adrien ou Méditerranée, il vous entraîne par une diction proche du slam et du rap, soutenu par tous ses camarades.
Malgré l’heure avancée, le public ne semble quitter qu’à regret le chapiteau, avec encore des fourmis dans les jambes. ¶
Jean-François Picaut
Festival Le Grand Soufflet
20e édition du 1er au 10 octobre 2015
Photo : © Jean-François Picaut
Pôle Sud • B. P. 37604 • 35176 Chartres-de-Bretagne cedex
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Site : www.legrandsoufflet.fr