Féminins singulières
Par Laura Plas
Les Trois Coups
C’est parti ! La Route du Sirque battra son plein jusqu’au 25 août. Honneur aux dames cette année ! Pour preuve, deux spectacles présentés en ouverture : « Souffle » de Florence Caillon et « Horizon » de Chloé Moglia. Entre transe et extrême tension, deux propositions singulières.
On pourrait ne venir à Nexon que pour les sous-bois musqués et les jardins du château. On sentirait le souffle de l’air, on entendrait les bruits des arbres et des oiseaux qu’ils abritent. On pourrait, certes, mais on raterait alors les stages, les concerts et les rencontres (philosophiques ou pas), l’exposition engagée de Dugudus, les ateliers, et mille autres pépites de la Route du Sirque.
Reste que le choix de Martin Palisse, l’actuel directeur du festival, a souvent été de faire dialoguer la création avec ce cadre délicieux. Par exemple, culture et nature se rencontrent au jardin des Sens, où la beauté du point de vue pourrait le disputer à l’intérêt des spectacles qui y sont proposés et permet de les magnifier.
Bien sûr, la dialectique entre nature et culture a justement été, longtemps, un des moyens de jeter le soupçon sur les créations des femmes. Un être artificieux, selon Baudelaire, ou une petite chose rivée à la nature en raison de son instinct, la femme était, en effet, cantonnée au rôle d’interprète. Trop peu maîtresse d’elle-même, la pauvrette n’aurait su penser ni son corps, ni la nature… Pas penser, pas créer tout court ?
Des racines et des elles
Or, Souffle et Horizon sont portés – et surtout – conçus par des femmes. Ces auteures nous proposent, précisément, une réflexion sur le corps et des éléments naturels. Ainsi, dans la création de Florence Caillon, le cirque se métisse avec la danse pour évoquer, comme le titre l’indique, le souffle (vent, respiration, pause musicale). Dans Horizon, Chloé Moglia poursuit, quant à elle, sa réflexion sur l’enracinement et la suspension dans les airs.
Si le travail de Florence Caillon tient autant de la composition musicale que de la chorégraphie, la performance de Chloé Moglia est irriguée par l’architecture et la philosophie, longtemps prés carrés des hommes. D’ailleurs, cette dernière pense le rhizome (nom de sa compagnie), l’enracinement en se référant aux travaux de Deleuze et Guattari. On est donc confrontés, non à des œuvres « féminines », mais à des créations de femmes qui osent les métissages et les expérimentions. Bref, à des auteures.
Plus exactement, Souffle offre une partition complexe qui conjugue, à l’impeccable prestation de Julie Tavert, une régie soignée et une dramaturgie fine, voire un peu retorse. Car l’on ne sait trop comment le spectateur, installé en cercle autour de la danseuse-acrobate, se trouve aspiré par la représentation. Il y a comme un effet d’hypnose créé par le jeu sur les pulsations. Ensuite, une montée en puissance fait songer à la transe. On ne retient pas vraiment son souffle face à cette chorégraphie de cirque, dont la fluidité pourrait donner l’illusion de la facilité : on respire plutôt ensemble. Il n’y a là pas de performance apparente, mais un spectacle subtil et assez passionnant à vivre, puis à penser.
Virage à 190 degrés pour Horizon. Souffle coupé, le spectateur suit Chloé Moglia dans les airs en se demandant de minute en minute comment une telle performance est possible. Là, où Julie Tavert parvenait à donner par l’ondoiement une impression de continuité, Chloé Moglia nous invite à penser le temps suspendu entre deux mouvements.
C’est le moment où le souffle n’est plus pulsation musicale, mais indice d’une fragilité que dissimule le prodige. Pas de relâchement, donc, mais au contraire une tension communicative. Pas de dramaturgie visible non plus, mais une série de stations (comme il en existe dans les spectacles médiévaux) où l’imaginaire peut s’ébattre. Comme, on fait d’un nuage un visage ou un navire, on découvrira peut-être alors, en la blanche figure de Chloé Moglia, l’oiseau ou la vigie, la girouette ou la corde de l’arc. Et la flèche de cet arc blanc, tendue comme les fuselages improbables qui soutiennent des ponts entiers, atteint son but. On sort donc éprouvés par l’attention (la tension) et ébaudis de ces trente minutes atemporelles.
Voilà deux solos très différents et un beau prologue à cette nouvelle édition de la Route du Sirque… to be continued. ¶
Laura Plas
Souffle, de Florence Caillon
Mise en scène : Florence Caillon
Avec : Julie Tavert
Le jeudi 9, le samedi 11 et le dimanche 12 août 2018 à 18 heures, le vendredi 10 août 2018 à 19 heures
Photo : © Philippe Cibille et Eatu Aanen
Horizon, de Chloé Moglia
Compagnie Rhizome- Chloé Moglia
Mise en scène et interprétation : Chloé Moglia
Durée de chacun des deux spectacles : 30 minutes
À partir de 7 ans
Le jeudi 9, le samedi 11 août 2018 à 19 heures et le vendredi 10 août 2018 à 18 heures.
Photo : © Étienne Rue
Gymnase et jardin des Sens• Orangerie du Château • 87800 Nexon
Dans le cadre de la Route du Sirque du 6 au 25 août 2018
Tarif : 8 €
Réservations : 05 55 00 98 36
billetterie@sirquenexon.com
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