« Sous les visages », de Julie Bérès, Théâtre Romain‑Rolland à Villejuif

Sous les visages © Alain Monot

« Elle m’a niqué les yeux… »

Par Andrée Lechat
Les Trois Coups

Il faut le dire tout de suite. Pour un « Parisien », dépasser le périph’ pour aller voir un spectacle, relève quasiment de l’exploit. Et pourtant l’exigence de programmation de ces théâtres de la banlieue parisienne mérite souvent le déplacement. Ainsi le Théâtre Romain-Rolland n’a pas failli à cette mission. Ni à celle, d’ailleurs, consistant à faire découvrir le théâtre aux « jeunes générations » au vu des trois rangées particulièrement expressives et dont la limite d’âge ne devait pas excéder seize ans.

Alors, il convient dès maintenant d’avertir le spectateur qu’on ne lui résumera pas « l’histoire ». Non pas qu’il n’y en ait pas, mais Sous les visages est de ces spectacles dont on n’est jamais plus éloigné que lorsque l’on tente de les résumer, de les classer… Pourquoi ?

Parce que… Même si la trame narrative existe, elle est secondaire, elle est le préalable nécessaire à l’imaginaire, à l’expérience théâtrale et personnelle qu’offre la dernière création de Julie Bérès.

« À force de faire plaisir à mes employeurs, j’oublie que je peux faire autre chose. » Cette femme, écrasée par sa condition sociale et fantasmant devant le petit écran, qui finit par rêver sa vie plutôt que la vivre, est bien le « mal du siècle », du moins celui qui obsède tant nos artistes aujourd’hui. Alors si le sujet n’est pas très original, il est justement traité.

Parce que… Une direction d’acteur qui rappelle à quel point ces derniers ne sont jamais plus beaux que lorsqu’ils sont au service d’une œuvre et non l’inverse !

Un songe, un flottement dans la réalité, une persistance rétinienne… ? Parce que… De ces considérations très actuelles, tout concourt à l’égarement, à la dispersion des sens : où sommes-nous ? dans une grande couette réconfortante ? dans les méandres d’un cerveau pris sur le vif du sommeil paradoxal ? dans un magma indéterminé, inquiétant et réconfortant comme la matrice originelle ? Ces êtres qui s’agitent sont-ils réels ou sont-ils le résultat de sécrétions excessives d’hormones dans mon cerveau ? Ce que je vois est-il bien en train de se dérouler ou suis-je plongée dans mes pensées ?

Des questions. Sous les visages, c’est le genre de spectacle qui offre cette liberté et cet espace de réflexion, au risque de déplaire à ceux qui préfèrent que la fin soit une fin et qu’elle réponde à la question nécessairement posée au début, bref à ceux qui préfèrent rester dans la caverne…

Parce que… D’une pénombre oppressante, peu à peu la lumière sculpte l’espace, le modèle. Elle dessine des corps fantasmatiques oscillant tantôt entre le spectre, tantôt entre ces vieux automates rouillés au visage figé dans un rictus inquiétant. Elle nous convie à cette séance de spiritisme cérébral où l’esprit tente de photographier l’ectoplasme de sa pensée. Un flash lumineux nous vaudra d’ailleurs cette exclamation d’un spectateur : « Putain, elle m’a niqué les yeux ! ». C’est ça, elle nous a niqué les yeux, et pas que… la tête aussi ! Mais, putain, ça fait du bien !

Parce que… Sous les visages est de ces spectacles-expériences qui vous donnent l’impression d’avoir vécu un peu plus intensément un instant de votre vie, d’avoir à un moment, sans même en avoir eu conscience, approché de cet endroit entre votre cœur et votre esprit que l’on nomme plus communément l’âme… 

Andrée Lechat


Sous les visages, de Julie Bérès

Cie les Cambrioleurs

Mise en scène : Julie Bérès

Scénario, dramaturgie, textes : Julie Bérès, Elsa Dourdet, Nicolas Richard, David Wahl

Créé et interprété par : Olivier Coyette, Virginie Frémaux, Boris Gibé, Gilles Ostrowsky, Julie Pilod, Guillaume Rannou, Delphine Simon

Scénographie : Goury

Création sonore : David Segalen

Composition musicale : Frédéric Gastard

Création lumières : Jean‑Marc Segalen

Création vidéo : Christian Archambeau

Costumes : Aurore Thibout

Perruques : Catherine Saint‑Sever

Travail sur le corps : Lucas Manganelli

Plasticienne : Juliette Barbier

Construction du décor : Stéphane Lemarié – le Quartz

Photo : © Alain Monot

Production, diffusion : Aude Clément

Théâtre Romain-Rolland, scène conventionnée de Villejuif et du Val-de‑Bièvre • 18, rue Eugène-Varlin • B.P. 11 • 94801 Villejuif cedex

Réservations : 01 49 58 17 00

Du 20 au 30 novembre 2008, lundi à 19 h 30, du mercredi au samedi à 20 h 30, dimanche à 17 heures, relâche le mardi

Durée : 1 h 15

16 € | 9 € | 8 € | 5,5 €

Tournée :

  • Du 3 au 5 décembre 2008 : Théâtre national de Bordeaux
  • 12 décembre 2008 : Théâtre de l’Arc-en-Ciel à Rungis
  • Du 6 au 10 janvier 2009 : C.D.N. de Nancy
  • Les 15 et 16 janvier 2009 : le Carreau à Forbach
  • Le 23 janvier 2009 : centre culturel Aragon-Triolet à Orly
  • Le 27 janvier 2009 : le Grand R, scène nationale à La Roche-sur-Yon
  • 6 février 2009 : l’Onde à Vélizy-Villacoublay
  • Les 24 et 25 février 2009 : l’Hexagone, scène nationale à Meylan

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories