Le tourbillon de la vie
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
Amir Reza Koohestani, auteur et metteur en scène iranien, propose une fable douce-amère sur l’évolution du système éducatif et des mentalités dans son pays, depuis l’arrivée au pouvoir des mollahs en 1979 jusqu’à aujourd’hui.
Assise sur un manège en forme de tourniquet, une jeune femme attend chaque jour sa fille. Elle engage la conversation avec la responsable de l’école qui lui propose, comme la nouvelle législation l’y autorise, de participer financièrement aux frais de rénovation de l’établissement afin de concurrencer l’attractivité des institutions privées. Le peintre chargé de substituer à la fresque de slogans révolutionnaires une peinture murale plus séduisante se joint à elles. Ancien mari de la surveillante générale et artiste en mal de création, il s’immisce dans les échanges entre les deux femmes. Ainsi commence une lente dérive où se mêlent critiques politiques voilées de la société iranienne et aveux intimes sur leurs relations affectives. Avec l’aide d’une sobre scénographie de Shahryar Hatami ainsi qu’un inventif dispositif vidéo de Davoud Sadri et Ali Shirkhodaei, le spectacle oscille tout en finesse entre le désir de tout effacer et celui de procéder par retouches successive, à la manière d’une œuvre picturale dont le créateur hésite.
Mezza-voce
La première tension de la pièce réside dans la volonté des protagonistes de renoncer, chacun à leur manière, à l’idéal éducatif révolutionnaire. À mesure que les slogans officiels disparaissent de la façade de l’école sous les coups de pinceau, les non-dits des histoires personnelles surgissent. L’impossibilité de se mentir à soi-même fragilise les attitudes sociales convenues et les trois personnages découvrent leur impuissance quand ils sont confrontés à la blancheur uniforme d’un mur.
La seconde tension, qui se superpose progressivement à la première, cherche à construire une approche plus libérale, voire clientéliste, de la société iranienne. Il en résulte pour la surveillante, le peintre et la jeune mère une série de confidences plus ou moins contradictoires. Procédant par petites touches, l’écriture et la vidéo rongent subtilement le palimpseste immaculé qu’est devenu la fresque gouvernementale. Assis sur le tourniquet, le trio d’acteurs se laisse emporter par le tourbillon de la vie.
Summerless, quoiqu’au rythme un peu monotone, vaut pour sa capacité à renouveler métaphoriquement et poétiquement une théâtralité qui échappe au didactisme et aux élans excessifs, dès lors qu’on aborde un contenu renvoyant à une situation culturelle et politique intense. C’est tout à l’honneur d’Amir Reza Koohestani et de son équipe de réussir à convier leur public à une rencontre intelligente, dépassionnée et raffinée avec le théâtre d’un pays dont on parle trop souvent sans nuance. ¶
Michel Dieuaide
Summerless, de Amir Reza Koohestani
Texte et mise en scène : Amir Reza Koohestani
Avec : Mona Ahmadi (la mère d’élève), Saeid Changizian (le peintre), Leyli Rashidi (la surveillante), et à l’image Juliette Rezai
Scénographie : Shahryar Hatami
Création et régie vidéo : Davoud Sadri et Ali Shirkhodaei
Création lumières : Xavier Lauwers
Création sonore : Ankido Darash
Costumes : Shima Mirhamidi
Assistants à la mise en scène : Mohammad Reza Hosseinzadeh et Mohammad Kharksari
Traduction française et adaptation surtitrages : Massoumeh Lahidji
Production : Mehr Theatre Group
Directeurs de production et tournées : Mohammad Reza Hosseinzadeh et Pierre Reis
Célestins – Théâtre de Lyon • 4, rue Charles-Dullin • 69002 Lyon
Billetterie : 04 72 77 40 00
Du 28 janvier au 1er février 2020 à 20 heures
Durée : 1 h 20
Spectacle en persan surtitré en français
De 9 € à 40 €
Tournées :
- Le Carreau-Forbach, le 6 février 202
- Nest Théâtre-Thionville, les 17 et 18 mars 2020
- Centre culturel André Malraux-Vandoeuvre-les-Nancy, les 20 et 21 mars 2020