« Surexpositions (Patrick Dewaere) », Marion Aubert, Théâtre des Célestins, Lyon

Surexpositions-Patrick Dewaere-Marion-Aubert © Rémi Blaquez

Affolement de l’acteur

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Bizarrement, c’est en parlant des années 70-80, à travers l’évocation d’un grand comédien disparu, que « Surexpositions (Patrick Dewaere) » donne un sacré coup de jeune à ce début de saison, pourtant riche en événements théâtraux. Bluffant !

Bien que Patrick Dewaere soit le sujet, ce n’est pas un biopic mais un retour sur une époque vécue par une bande d’artistes qui se produisaient au Café de la Gare dans un joyeux désordre et une totale liberté. Autour de lui, Depardieu, Miou-Miou qui vont former une ronde protectrice et mortifère. Artistes qu’on retrouvera dans des films devenus cultes, prétextes à faire intervenir Jeanne Moreau, Marie Trintignant, Alain Corneau, Claude Miller… Mais ce n’est pas un défilé de stars, juste une manière d’installer une connivence avec le spectateur cinéphile.

© Rémi Blaquez

Le spectacle s’ouvre sur un long monologue de la mère de l’acteur venue inaugurer un buste en plâtre à la mémoire de son fils. Le texte de Marion Aubert est saisissant et l’interprétation de Johanna Nizard le rend encore plus puissant et bouleversant. Dès le début il donne des clés : l’enfant d’un mec qui se tire, né dans les coulisses d’un théâtre où elle joue. Un fils poussé sous la lumière des projecteurs dès 3 ans et bête de scène très vite, tout le temps. Puis sa mort. Cramé.

Il s’agit bien du destin d’un acteur singulier, certes hors normes, mais dont certains traits peuvent, sinon expliquer, du moins mettre en lumière la fragilité de l’acteur, quel qu’il soit. Tout y conduit, depuis l’exposition du début, dans la chronologie des faits et des films : du joyeux, solaire et foutraque Les Valseuses, au sombre Série noire dans lequel Dewaere jouera un voyageur de commerce sans aucune envergure et passablement dépressif, qu’une vie minable et une succession de péripéties sinistres vont conduire au meurtre. Très impliqué dans ce film – et parallèlement très en colère de ne pas être reconnu par un César, alors qu’il est plusieurs fois nominé – Patrick Dewaere déraille alors, d’autant que les deux femmes de sa vie l’ont quitté, qu’il est jaloux et désespéré, que son entourage se lasse de son instabilité grandissante, de sa fragilité éruptive.

La vie en quelques flashs d’adrénaline

La surabondance des regards sur lui, la difficulté à tenir à distance ses rôles, son désir affamé de reconnaissance, le rendent impossible à vivre, y compris pour lui-même. Quel comédien n’a pas, au moins une fois, rencontré ce trouble-là, à la limite de l’impudeur et du besoin de secret ? Paradoxalement, et très logiquement, c’est par les regards portés sur lui qu’il existe et se construit – parfois, qu’il se détruit – et, comme Dewaere, explose en vol. C’est tout cela que dit le texte de Marion Aubert, et bien plus encore.

La mise en scène de Julien Rocha, très rythmée, très rapide, sait parfaitement faire monter la tension, la rendre palpable, passer de moments tordants, espiègles, presque innocents (malgré l’omniprésence du sexe à tout bout de champ), à d’autres d’où montent une inquiétude, un pressentiment. Elle s’articule aussi sur chacun des trois films qui, après l’exploration d’une liberté sans limite, si bien « filmée », si drôle, si pleine de culot, glissent lentement mais sûrement vers la gravité ou vers l’humour noir. Chapeau bas.

© Rémi Blaquez

La mise en scène s’impose donc par sa science du tempo, mais aussi par une scénographie très astucieuse et efficace, signée Clément Dubois : en avant-scène, les coulisses et les loges, où public est ravi de pénétrer face à des comédiens qui se lâchent, dans leur intimité ; le plateau est aussi partagé en studio de cinéma avec décor, caméras. Entre les deux espaces, des grands vitraux de verre permettent des jeux de transparence, des clins d’œil aussi, comme pour la transposition de la scène des Valseuses, où Dewaere et Depardieu pêchent dans la rivière (ici dans des seaux avec au bout des lignes d’authentiques bouchons).

On rit beaucoup. Et puis, surtout, quatre acteurs formidables forment la fine équipe de copains : Margaux Desailly qui incarne les deux femmes de Dewaere avec une fraîcheur éclatante et une joie de vivre contagieuse ; Johanna Vizard qui passe avec un naturel impressionnant du rôle poignant de la mère, à celui non moins écrasant de Jeanne Moreau, ou à celui de Claude Miller ; Cédric Veschambre qui, lui aussi, endosse tous les rôles de Depardieu à Bertrand Blier, en passant par celui, émouvant, formidable, de Philippe ; Fabrice Gaillard, enfin, Dewaere fragile, insupportable, violent, imprévisible, puis se donnant à lui-même le coup de carabine final. Acteur magistral. 🔴

Trina Mounier


Surexpositions (Patrick Dewaere), de Marion Aubert

Le texte est édité chez Actes Sud
Compagnie Le souffleur de verre
Mise en scène : Julien Rocha
Avec : Margaux Desailly, Fabrice Gaillard, Johanna Vizard , Cédric Veschambre
Dramaturgie : Émilie Beauvais, Julien Rocha
Scénographie : Clément Dubois
Univers sonore : Benjamin Gibert
Création lumière : Nicolas Galland
Costumes : Marie-Fred Fillon
Perruques – Cécile Kretschmar
Durée : 1 h 50

Théâtre des Célestins • 4, rue Charles Dullin • 69002 Lyon
Du 16 au 23 octobre 2022, du mardi au samedi à 20 h 30, dimanche à 16 h 30, relâche le lundi
Réservations : 04 72 77 40 00 ou en ligne
De 9 € à 26 €

Tournée :
• Le 10 décembre, La Chartreuse, à Villeneuve lez Avignon (lecture)
• Le 3 avril 2023, Théâtre de Châtillon
• Les 6 et 7 avril, Les Quinconces, à Vals-les-Bains
• Le 13 avril, Le Carreau, SN de Forbach

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