So what ?
Par Claire Néel
Les Trois Coups
Le Théâtre du Rond-Point accueille les trois personnages anglais de « Talking Heads » dans l’une de ses chaleureuses salles. C’est comble, les éventails y fleurissent (nous sommes en mai) et les perles de sueur gouttent, tels des nuages de lait lors d’un tea-time… Dans ces conditions, il faut le vouloir terriblement pour s’intéresser au quotidien de trois femmes qui soliloquent. Malgré une interprétation travaillée et une scénographie démontrant une recherche certaine, on sort de ce spectacle en se disant : et après ?
Talking Heads est une pièce d’Allan Bennett, composée de plusieurs monologues, que les personnages adressent toujours à quelqu’un : spectateur, lecteur, téléspectateur, bref un autre. Laurent Pelly avait déjà mis en scène trois de ces partitions en 1993. Pour la version 2009, il conserve Une femme sans importance et lui ajoute Nuits dans les jardins d’Espagne et Femme avec pédicure, en gardant les mêmes actrices. Des voix féminines, donc, qui se racontent avec naïveté. Cette naïveté s’exprime avec une distance émotive qu’elles ont par rapport à elles-mêmes. On a du mal à croire cette innocence involontaire. Elle semble l’être, pourtant. Leurs vies, banales et extraordinaires, couvent les grandes tragédies humaines : maladie, mort, solitude… Elles parlent au rythme des pensées qui leur viennent, et l’on suit le fil de leurs idées comme celles des femmes d’Inventaires de Philippe Minyana.
Elles, viennent de Grande-Bretagne. Si nos voisins d’outre-Manche ne manquent pas d’humour, j’ai trouvé celui‑ci un peu frileux. Avec ce texte, on comprend que le rire doit naître dans un grincement de dents. Je n’ai rien contre ! Mais il n’y a jamais de bonnes raisons de servir un plat tiède. Mi-figue, mi-raisin, on ne sait pas où ce spectacle veut nous mener. En fait, il veut nous conduire dans le quotidien et son lot de solitude, d’ennui, d’humiliations et de petites beautés, rendant grâce aux drôles de pirouettes dont on s’arrange pour nous donner bonne conscience. D’accord, mais : et alors ?
Pourquoi ça ne prend pas ? Alors que ce spectacle est loin d’être mauvais ou bâclé. La chaleur… ? Peut-être un peu… Cette débâcle de moyens scénographiques, originaux et ingénieux, mais dont les changements obligent à des temps longs comme des entractes ? Sans doute… Malgré ou à cause de cette obsession d’une représentation réaliste de l’histoire, à une imagerie documentaire, les comédiennes sont enfermées dans un jeu qui reste trop conforme à la vie ordinaire. La théâtralité de Talking Heads réside dans sa scénographie, et ce n’est pas suffisant.
Restent quelques images surprenantes. Dans Une femme sans importance, la comédienne Christine Brücher évolue dans l’espace et dans les évènements, en même temps qu’un cadre noir borde son champ d’action comme un écran télévisé. Chantal Thomas, qui a réalisé les décors, a construit un plan incliné à environ 110 degrés, et donne ainsi l’illusion au spectateur de voir une scène de haut : impressionnant ! Le contrepoint, c’est que l’on passe les cinq premières minutes de la scène en question à s’émerveiller de cette invention et à imaginer son élaboration, à se dire « est-ce que ce n’est pas un effet de miroir », et on en oublie de suivre. L’intellect est stimulé, oui. Bravo à Joël Adam qui trace avec ses lumières des images d’une netteté incroyable. ¶
Claire Néel
Talking Heads, d’Allan Bennet
Version française : Jean‑Marie Besset
Mise en scène : Laurent Pelly
Avec : Christine Brücher, Nathalie Krebs, Charlotte Clamens
Dramaturgie : Agathe Mélinand
Décors : Chantal Thomas
Lumières : Joël Adam
Son : Aline Loustalot
Assistante à la scénographie : Natacha Le Guen
Costumes : Laurent Pelly
Photo : © Brigitte Enguérand
Théâtre du Rond‑Point • 2 bis, avenue Franklin‑D.‑Roosevelt • 75008 Paris
Réservations : 01 44 95 98 21
Du 28 avril au 30 mai 2009 à 21 heures, représentations supplémentaires les samedi à 15 h 30, dimanche à 15 h 30, relâche les lundis, les 1er, 3, 8 et 21 mai 2009
Durée : 2 heures
28 € | 20 € | 16 €