« Tartuffe, nouvelle ère », de Molière, Théâtre de la Renaissance à Oullins

« Tartuffe, nouvelle ère » © Jean-Louis Fernandez

Trop de style nuit

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Si le titre de l’œuvre de Molière est doté d’une suite, « Tartuffe, nouvelle ère », il ne s’agit pas d’une adaptation, mais de la pièce donnée dans son intégralité et son intégrité. C’est pour Éric Massé, le metteur en scène qui clôt ainsi un cycle centré sur la place du religieux (nouvelle ère), l’occasion de renouer avec un texte classique.

Et il ne semble malheureusement pas aussi à l’aise qu’avec les écrits contemporains, voire avec les collages dans lesquels il évolue habituellement avec une grande subtilité.

Le plateau du Théâtre de la Renaissance est de bonne taille sans être de dimensions gigantesques. Pourtant, dans la scénographie d’Éric Massé, il paraît immense : de hauts panneaux peints, anges rouge et or semblant tout droit sortis de tableaux baroques comme des détails agrandis, forment les cloisons de la maison d’Orgon. Autour, c’est la rue, c’est-à‑dire la terre battue, mais encore la glaise dont sont faits les hommes et dans laquelle ils fouillent, terre de cimetière, terre de combats… En hauteur, des micros tombent des cintres : ils amplifieront parfois les voix, comme dans une église, notamment celle de Tartuffe quand il prêche, quand il est en représentation. La table et ses chaises, si importantes dans cette comédie bourgeoise, sont elles aussi accrochées en l’air avant de redescendre accomplir leur office (en particulier celui d’abriter Orgon des regards lors de la fameuse scène de la séduction). Si la raison d’être de cette disposition ne saute pas aux yeux, elle ajoute une touche contemporaine que ne dément pas le style des meubles en question.

Ce décor est un peu encombrant : à trop vouloir signifier, on y perd la dimension d’un Tartuffe qui est, certes, une charge contre les dévots, mais autant un drame intime.

D’excellents comédiens aux oripeaux trop grands

Dans cette histoire, comme souvent chez Molière, le père, Orgon, est d’abord un tyran domestique, prêt à marier sa fille au mieux de ses propres intérêts, à délaisser sa femme pour une de ses lubies et à déshériter son fils. Laurent Meininger lui prête sa stature et sa puissance. Il joue un personnage tour à tour tendre et capable de violence soudaine, sans cesse en train de contraindre sa nature pour obéir à l’idéal dévot. Plutôt inquiétant, donc. Plus que Tartuffe, c’est lui le personnage central de la pièce, car il est la dupe entichée d’une fantaisie, laquelle, comme toujours, est agitée par un escroc, un de ceux qui en cette fin de règne de Louis XIV ont le vent en poupe. Ce sont les mécanismes de l’aveuglement d’Orgon qui intéressent Molière, ainsi que l’impuissance de sa famille au rang de laquelle figure en bonne place la servante Dorine, interprétée avec malice et énergie par Angélique Clairand très à son aise dans ce rôle.

Quant à Tartuffe, confié à Pierre‑François Garel, il est impénétrable, c’est son emploi. Envahi par des pulsions qu’il peine à contrôler comme en témoigne une des premières scènes où la vue d’un sein le met à ce point hors de lui qu’il saute sur sa proie sans retenue, il est à d’autres moments cet imposteur calculateur, méfiant et retors auquel l’acteur prête une duplicité sensible et inquiétante.

Certaines scènes laissent cependant songeur : à quoi sert, par exemple, que Tartuffe se dénude pour prendre une douche sauf à montrer son corps qu’il a beau aux spectateurs ? Ou, pire, qu’il se lave les dents ? Pourquoi Mariane pleure-t‑elle à gros sanglots même une fois sortie de scène, de sorte qu’on n’entend qu’elle ? Pourquoi Damis ressemble-t‑il à un ado de banlieue ? Et pourquoi fument‑ils tous ou presque ? De même, on peut se demander la raison d’une direction d’acteurs qui les pousse à se jeter les uns contre les autres pour rouler au sol en un mélange de bras et de jambes. Dans cette société corsetée où chaque geste est épié et compté à charge, ce choix est sans doute le signe de désirs réprimés qui ne rêvent que de s’exprimer… Pas sûr que le moyen soit approprié…

Cette impression de surabondance, de trop-plein, de surenchère nuit à cette pièce par ailleurs très bien assumée par des comédiens qui font entendre à la perfection les alexandrins de cette langue élégante et qui donnent de leur personnage une palette complexe et juste. Parmi eux, citons encore l’excellente Mireille Mossé, impressionnante dans le rôle de Madame Pernelle, véritable chef de famille malgré son ridicule. Enfin, il convient de rendre justice à la scène finale, glaçante.

En un mot, c’est un spectacle qui fait preuve d’énormément de qualités, mais qui demanderait à être sérieusement épuré pour qu’on l’entende vraiment sans être gêné par trop de parasites. 

Trina Mounier


Tartuffe, nouvelle ère, de Molière

Mise en scène : Éric Massé

Avec : Léo Bianchi, Angélique Clairand, Pierre‑François Garel, Iannis Haillet, Simon Lambert‑Bilinski, Clément Lefèvre, Laurent Meininger, Mireille Mossé, Sarah Pasquier, Édith Proust

Scénographie : Éric Massé, accompagné de Didier Raymond

Collaboration artistique : Hervé Dartiguelongue

Lumières : Yoann Tivoli

Costumes : Pierre Canitrot

Son : Wilfrid Haberey

Photo : © Jean‑Louis Fernandez

Coproduction : Cie des Lumas, Comédie de Valence-C.D.N. Drôme-Ardèche, Scène nationale 61 Alençon, Flers, Montagne‑au‑Perche, Théâtre de la Renaissance-Oullins-Lyon Métropole, Comédie de Picardie, Théâtre de Cusset, Théâtre du Parc-Andrézieux‑Bouthéon

Avec la participation du Jeune Théâtre national

La Cie des Lumas est en convention triennale avec la D.R.A.C. Auvergne ‑ Rhône‑Alpes, la région Auvergne ‑ Rhône‑Alpes et la ville de Saint‑Étienne. Elle est soutenue par le conseil général de la Loire

Théâtre de la Renaissance • 7, rue Orcel • 69600 Oullins

www.theatrelarenaissance.com

04 72 39 74 91

Du 17 au 21 janvier 2017 à 20 heures, sauf le 17 en scolaire à 14 h 15

Durée : 2 h 30

De 5 € à 24 €

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