Moi, pas Tarzan.
Toi, pas Melquiot
Par Sylvie Beurtheret
Les Trois Coups
Il avait jusque-là arpenté les territoires de l’enfance, regardant le monde à travers les grosses lunettes de son petit héros Bouli Miro. L’auteur Fabrice Melquiot sonde aujourd’hui les fonds vaseux et sublimes de l’adolescence. Et, pour la première fois, se fait metteur en scène, donnant à entendre son superbe texte « Tarzan Boy » au Théâtre national de Bordeaux. Dommage que sa mise en scène trop artificielle étouffe les vibrations troublantes de sa belle écriture pourtant si prégnante…
Étonnant que le théâtre se soit si peu emparé de ce délicat big-bang qu’est l’adolescence. Car quoi de plus théâtral que ce temps béni-maudit du jeu de masques, de la métamorphose, de l’exil, où rages, désillusions, besoin d’absolu, ennui mortel et curiosité assoiffée, tendresse et maladresses, intenses et honteux premiers émois, vie et mort, se heurtent avec violence et confusion, s’enflammant comme un gros bouton d’acné qu’on brûle d’exploser ? Le sensitif Fabrice Melquiot, lui, l’a profondément perçu, qui a su disséquer ce sujet chauve-souris, mi-ange mi-démon, avec toute la grâce de sa plume puissante et fragile.
C’est la petite histoire de l’adolescence de Fabrice Melquiot, au cœur des années 1980, dans sa savoyarde ville natale de Modane. Les flonflons de l’Histoire, la grande, lui arrivent en sourdine, sur un air d’usines qui ferment, de boat-people, de Lech Walesa et de Malik Oussekine. Tandis que, dans sa chambre, les jours défilent en hurlant comme les tubes sur la bande F.M. Fabrice écoute en boucle ses chers 45 tours (dont le titre Tarzan Boy), rêve de porter son blouson en Skaï sur un jean couleur neige, traverse les rues sans regarder, se prend pour une chauve-souris capable d’éviter les obstacles et de renaître, torture les mouches, se goinfre d’idéaux et de lieux communs, et joue au flipper en attendant cette Betty qu’il aime, mais qui n’embrasse pas la première année. Bref, sous des dehors autobiographiques, Fabrice Melquiot nous conte surtout l’histoire impersonnelle de n’importe quelle adolescence.
Ce petit bijou de texte
Mais d’où vient que l’encre de ce petit bijou de texte, aussi cruel, drôle, poétique et mélancolique que ces années qui nous ont construits, ne résonne pas sur le plateau avec la même magique justesse ? Tout avait bien commencé, pourtant. Dans le noir, d’abord, au son des messages hilarants et subliminaux d’un animateur radio, nous rappelant nos nuits passées l’oreille collée à la radio. Puis, lumière : on se retrouve dans un décor ad hoc et hard rock de disques en vinyle, ballon de basket, badge Solidarnosc, tee-shirt grunge et Rubik’s cube, éparpillés à la ronde. Important les Rubik’s cubes, qui évoquent les H.L.M. « blocs de vie ». Mais disent surtout, dans une belle métaphore, notre mémoire à géométrie variable. Et le casse-tête de l’adolescence : difficile d’en manipuler toutes les faces pour devenir un adulte uniforme…
Pour ce faire, ils sont quatre à s’agiter, avec toute l’énergie de leur belle jeunesse. Elsa Rozenknop chante (pas toujours bien) au micro, joue l’amoureuse, la reine mère et la bande de potes. Daniel San Pedro campe l’adulte qui, effet miroir, se voit revivre sa propre adolescence sous les traits d’un Guillaume Ravoire jouant, lui, le teenager universel et éternel. Tandis que le musicien Paul‑Marie Barbier, aux commandes de son vibraphone, se fait aussi parfois acteur. Une polyphonie à quatre voix donc, pour nous livrer, dans une mise en scène délibérément kaléidoscopique et syncopée, des éclats, des instantanés, des réminiscences d’une adolescence revue et corrigée par le temps qui a passé. Bonne mais vaine idée.
Jeu forcé et impatient
On a l’impression qu’on nous impose là, sans délicatesse et dans un tâtonnement de jeunesse, une suite inégale de tableaux, émaillée certes de quelques instants de grâce et de jolies trouvailles, mais ceux-ci trop souvent longs, inutiles, bruyants et artificiels. Comme si les comédiens, au jeu forcé et impatient, seyant pourtant fort bien à cette période caricaturale, n’avaient toutefois pas trouvé la souplesse nécessaire pour jouer une gamme plus variée sur le vibraphone des émotions. Comme si les comédiens n’avaient pas réussi à percer le texte « melquiotien » pour en extraire toute la souffrance, l’humour et la finesse. Le capharnaüm de ces années-là est trop grossièrement montré sur scène pour faire entendre les fulgurances de la plume.
Et ils ont beau, ces comédiens, nous jeter un pont depuis leur rive en demandant nos prénoms, histoire de nous entraîner dans leur tourbillon, on reste en surplomb. Peut-être, affaire de génération, les adolescents se laisseront-ils mieux convaincre ? Je repars, quant à moi, déçue que cette chauve-souris de Tarzan Boy n’ait pas mieux planté ses petits crocs de vampire dans ma carotide. ¶
Sylvie Beurtheret
Tarzan Boy, de Fabrice Melquiot
Production déléguée : T.N.B.A
Production : Bonlieu, scène nationale d’Annecy / C.D.D.B.-Théâtre de Lorient, centre dramatique national / Centre national de création et de diffusion culturelles-Châteauvallon / L’Association Ci-jointe / Avec le soutien du conseil général de Seine-Saint-Denis, la ville de Modane
Mise en scène : Fabrice Melquiot
Avec : Guillaume Ravoire, Elsa Rozenknop, Daniel San Pedro
Musicien : Paul-Marie Barbier, guitare et vibraphone
Création son : Nicolas Lespagnolrizzi
Création lumière : Pascale Bongiovanni
Création costumes : Läetitia Oggiano
Conseil chorégraphique : Marion Levy
Travail graphique : Jeanne Roualet
Photo : © Laurent Theillet
Production, diffusion : Mélanie André-Maussion
Avec toute l’équipe technique du T.N.B.A.
Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, studio de création • square Jean‑Vauthier • 33031 Bordeaux
Réservations : 05 56 33 36 80
Du mardi 2 au vendredi 19 février 2010 à 20 heures
Durée : 1 h 30
25 € | 10 €
Tournée en mars 2010 :
Bonlieu, scène nationale d’Annecy
C.D.B.B.-théâtre, centre dramatique de Lorient
Théâtre de la Tête-Noire, scène conventionnée pour les écritures contemporaines, Saran