L’échec, formidable levier du burlesque
Par Anne Cassou-Noguès
Les Trois Coups
Acrobate, clown et musicien, Thomas Monckton est à mourir de rire dans « The Pianist ». Après avoir joué à guichet fermé dans les plus grands festivals à travers le monde, il pose son piano pour la première fois à Paris. À ne pas rater.
Un grand rideau noir, un lustre, et surtout un imposant piano à queue : tel est le décor que découvre le public du 13ème Art, quand il entre en scène. Un décor de concert classique. Mais on comprend aussitôt que le récital ne pourra avoir lieu.
Le spectacle tout entier repose sur un comique minimaliste. Aucune parole, très peu d’accessoires et un corps qui se heurte à son environnement. D’emblée, l’artiste au corps dégingandé peine à s’extirper des coulisses. Le rideau fait obstacle, les mains et les pieds deviennent lourds, incapables de répondre aux injonctions de leur propriétaire.
Le lustre est trop bas, le piano refuse de s’ouvrir, le bois cède entre les doigts impatients du concertiste… Rien d’original dans ces gags ! Toutefois, l’un des plaisirs du spectateur vient de ce qu’il les anticipe, les pressent, mais ne peut les prévenir. Ainsi, quand le musicien avance pour saluer, le lustre semble devenir gigantesque aux yeux du public averti. Et le rire monte, avant même que le front du comédien ne le heurte.
Surtout, la force de Thomas Monckton n’est pas d’éviter les clichés ou les numéros attendus, mais au contraire de les porter à leur paroxysme, de les répéter jusqu’à plus soif. En effet, le musicien se heurtera au lustre vingt fois pendant le spectacle.
Tragi-comédie ?
Cet acharnement fait rire, bien sûr. Cela vient aussi parfois réveiller en nous une petite douleur, car il y a quelque chose de tragique dans cette confrontation, sans cesse renouvelée, à l’échec. Que lève la main celui d’entre nous n’ayant jamais connu une de ces journées où rien ne marche, où les objets – de la cafetière à l’ordinateur, en passant par le portique du métro – se liguent contre nous et semblent dotés d’une véritable volonté de nuire ! On aimerait pouvoir se moquer sans arrière-pensée de cet artiste malchanceux et maladroit. Mais il est impossible de ne pas s’identifier un peu à lui.
Quand il parvient enfin à jouer quelques notes mélancoliques, on est ému, bizarrement soulagé. Si Thomas Monckton évoque inévitablement les acteurs comiques du cinéma muet, il suscite la même émotion que Charlie Chaplin dans Limelight, film de 1952, dans lequel il incarne Calvero, vieux chanteur de music-hall alcoolique, faisant ses adieux à la scène dans un duo musical avec Buster Keaton.
Alors, on rit beaucoup pendant The Pianist, mais Thomas Mockton sait aussi nous troubler subrepticement. Cependant, le plaisir serait parfait si l’on ne devait pas sans cesse se pencher à gauche et à droite pour voir la scène dans une salle fort mal conçue, dont on espère qu’elle saura à l’avenir mieux exploiter l’espace. ¶
Anne Cassou-Noguès
The Pianist, Circo Aereo et Thomas Monckton
Avec : Thomas Monckton
Photos : © Heli Sorjonen
Durée : 1 heure
Du 11 octobre au 12 novembre 2017, à 19 heures, dimanche à 17 heures, samedi séance supplémentaire à 14 heures, relâches lundi et mardi
Le 13ème Art • Centre commercial Italie 2 • Place d’Italie• 75013 Paris
De 14 € à 35 €
Réservations en ligne
À découvrir sur Les Trois Coups
« Intumus stimulus », de Jani Nuutinen (Circo Aereo), par Léna Martinelli