Sérieux délires
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
Le collectif Os’o s’est abrité derrière deux pièces de Shakespeare pour un spectacle délirant sur le sujet très sérieux de la dette. C’est un grand succès.
Les cinq lascars qui constituent le collectif Os’o (Roxane Brumachon, Bess Davies, Matthieu Ehrhard, Baptiste Girard et Tom Linton) ont en commun d’être issus de l’École supérieure de théâtre de Bordeaux en Aquitaine (E.S.T.B.A.), première promotion. Pour leur nouvelle création (octobre 2014), ils ont eu l’idée de réunir deux pièces de Shakespeare, Timon d’Athènes et Titus Andronicus. On peut considérer que la première est centrée sur la dette et la seconde, sur les rapports familiaux autour du pouvoir. En réalité, cette association ressemble à un faux nez.
Les comédiens expédient rapidement la première, qu’ils résument à grands traits et au pas de course. La seconde est intégrée à leur texte et ils en jouent quelques extraits. Le vrai sujet de la pièce, c’est la dette sous toutes ses formes, et leur source, le best-seller de l’anthropologue américain David Graeber, Dette : 5 000 ans d’histoire.
La pièce est mise en scène par David Czesienski, le Berlinois avec lequel ils ont déjà monté une adaptation de l’Assommoir de Zola.
Du sang à profusion
La vraie trame de l’œuvre est une sorte de comédie dramatique, digne du boulevard. La famille Barthelôt est en deuil, le père vient de mourir. Ses enfants (trois filles et un fils) se réunissent au château familial pour prendre connaissance du testament. Ils voient débarquer un demi-frère et une demi-sœur dont ils ignoraient l’existence. Ils sont tous deux flanqués d’un troisième personnage qui ne laisse pas d’être mystérieux, voire inquiétant.
Cette pièce est littéralement entrelardée de débats, style colloque à connotation politique et ethnologique, sur le thème de la dette d’argent ou de sang, voire d’affection, débats nourris des thèses de Graeber. Avec les extraits de Shakespeare, le texte joue ainsi sur trois niveaux. L’ensemble est réjouissant tant il est, comme on dit chez Molière, « de sel attique assaisonné partout ». Le second degré est omniprésent, le pastiche et la parodie ne sont jamais bien loin. Le sang coule à profusion comme dans Pulp Fiction, mais on se relève bien vite pour mourir encore. Et « Embrassons-nous, Folleville ! ».
Les sept comédiens qui défendent ce texte sont proprement épatants. Bourrés d’énergie, ils enchaînent les rôles avec une sorte de boulimie heureuse. Le collectif porte bien son nom : chacun sert l’ensemble, avec bonheur semble-t-il. Il n’est pas sûr que la prise de conscience des problèmes liés aux différentes formes de dette ait fait des pas de géant à l’issue de la pièce, mais tel n’était sans doute pas l’objectif de ses auteurs. Ils signent ici une œuvre résolument moderne qui a conquis le public rennais comme elle avait séduit le public et le jury qui les ont primés au festival Impatience cette année. ¶
Jean-François Picaut
Timon / Titus, d’après William Shakespeare
Un projet du collectif Os’o
Mise en scène : David Czesienski
Assistanat à la mise en scène : Cyrielle Bloy
Dramaturgie : Alida Breitag
Avec : Roxane Brumachon, Bess Davies, Matthieu Ehrhard, Baptiste Girard, Lucie Hannequin, Marion Lambert et Tom Linton
Scénographie et costumes : Lucie Hannequin
Musique originale : Maxence Vandevelde
Lumière : Yannick Anché et Emmanuel Bassibé
Photo : © Pierre Planchenault
Production : Collectif Os’o
Théâtre national de Bretagne • salle Vilar • 1, rue Saint-Hélier • 35000 Rennes
Réservations : 02 99 31 12 31
Les 20 et 21 novembre 2015 à 21 heures
Durée : 2 h 15
20 € | 10 €