L’apesanteur et la grâce
Par Laura Plas
Les Trois Coups
« Tombouctou » ni ne pèse, ni ne pose, mais nous élève au faîte de la grande Histoire, comme il convoque les paysages les plus intimes. Cette merveille de délicatesse nous parle de rêves remisés, transmis ou conquis. Histoire filiale, elle murmure : quand on aime, il faut aussi laisser partir.
« Le ciel est magnifique, les enfants ». On entend cette phrase dans le nouveau spectacle d’Olivier Debelhoir. Quand ce dernier la prononce, il est suspendu sur un fil non loin au-dessus de nous. Comme un oiseau. Sur le même fil, un autre oiseau plus insolite le rejoint. C’est Pierre Debelhoir, le père de l’artiste. Ornithologue à ses heures perdues, Il sifflote, fait voler des oiseaux dans nos têtes. Si le ciel est magnifique en effet, c’est aussi grâce au dialogue entre ces deux-là.
Déjà La Pelle, conjuguait le fil de l’acrobate avec celui d’une conversation. On y trouvait alors une méditation sur la façon de mettre ses pas dans ceux d’un autre pour apprendre, grimper à la hauteur de ses rêves. Tombouctou fredonne aujourd’hui des chansons de variété pleines du suc des souvenirs, nous raconte des histoires comme au coin d’une cheminée, nous joue un air d’accordéon déployant avec une modestie belle et souriante les talents multiples d’Olivier Debelhoir. Il y a donc bien une cohérence, un fil de trame dans l’œuvre : elle est intime, opposée à la démonstration bravache et à la prouesse vide.
« Passer un peu de temps appuyé contre toi »
Père et fils vont donc monter à 12 mètres et ainsi réaliser le rêve de Pierre. Gamin, Olivier rêvait, lui, de la hauteur… d’un panier de basket. Ce cheminement pudique, si soucieux de l’autre est déjà un cadeau. Grâce à une sonorisation fine, nous parvient la voix posée du fils, dont la confiance irradie en son père et en nous. Notre peur se nimbe alors de tendresse : cirque doux, et partageur. Pierre répond à son fils. Il fait ce qu’il peut. Il a envie mais peur, à la fois. D’une certaine manière, c’est lui l’enfant. À moins qu’il ne soit ce père porté jusqu’au lieu de sa mort de la tradition dogon ou de La Balade de Narayama ? Ou encore cet Anchise juché sur les épaules d’Enée pour être sauvé ? Un peu de tout cela et pas seulement.
Car rien ne dit que ces deux-là iront au bout de cette route « où personne ne s’arrête jamais ». Il y aura des pauses, des doutes, des repentirs, sans doute ? Peut-être ne faudra-t-il pas aller jusqu’au bout, jusqu’à l’abîme. Pas la peine de jouer les gros bras. Pas la peine de tenter d’atteindre l’inaccessible étoile si, sur Terre, on peut découvrir à vélo les paysages avec la mère. Des heures, des années à voler à la mort, à donner à l’amour.
De toute façon, si Pierre rêvait de cirque et de hauteur, les rêves parfois prennent des chemins mystérieux. Ils se transmettent, s’accomplissent comme par procuration. Et en définitive, ce chemin partagé, ce contact « appuyé contre toi » ne serait-il pas le plus bel accomplissement ?
Pudeur et dignité
Ainsi par-delà l’aisance de l’équilibriste, dont on admire la prouesse, on discerne d’autres équilibres : celui qui fait rimer intimité et pudeur ; cet autre qui permet de remonter le courant de l’histoire familiale pour parler de générations de métayers exploités, comme de l’histoire coloniale. Il fallait l’intelligence de François Hien pour écrire un texte aussi délicat et peu démonstratif. On ne nous fait pas de leçon d’histoire. On ne nous fait pas la leçon tout court, mais on nous laisse de l’espace.
L’immensité du ciel rencontre celle de la poésie. Par ailleurs les interprètes partagent de précieux moments de pause et de silence avec nous. Et puis le spectacle ouvre notre attention à ce qui est là : l’air, le chant de la mésange, le vent qui fait vibrer le fil : « Tout se tient » comme le dit Olivier Debelhoir. La partition sonore est faite de chansons délicieusement fredonnées, de bruits glanés dans l’espace environnant, de voix et de nappes sonores envoyées avec discernement.
Ainsi, si tout est chaos, comme le chante Mylène Farmer (citée ici, comme Brel), nous y échappons ici. Un enchantement. 🔴
Laura Plas
Tombouctou, de la cie D’un ours
Site de la compagnie
Écriture et conception : Olivier Debelhoir
Écriture : François Hien
Avec : Olivier Debelhoir et Pierre Debelhoir
Assistante à la dramaturgie : Ophélie Ségala
Durée : 45 minutes
Dès 8 ans
Parc du Château de Nexon• 6, place de l’Église • Nexon
Le 27 août 2023
Dans le cadre du Festival Multi-Pistes
Organisé par Le Sirque, pôle national cirque Nexon Nouvelle Aquitaine
Du 9 au 19 août et le 27 août 2023
De 8 € à 22 €
Réservations : 05 55 00 98 36 ou en ligne
Infos pratiques
Tournée
• Du 24 au 26 mai 2024, Cirque-Théâtre d’Elbeuf, pôle national cirque Normandie (76)
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Une Pelle, d’Olivier Debelhoir, par Léna Martinelli
☛ Un Soir chez Boris, d’Olivier Debelhoir, par Léna Martinelli