« Triptyque Masculin-Féminin », par la Compagnie Avant l’Aube, Théâtre des Barriques à Avignon

« Triptyque Masculin-Féminin » par la Compagnie Avant l'Aube © DR

Génération 

sans tabou

Par Anne Cassou-Noguès

Les Trois Coups

Trois pièces tentent d’établir le portrait d’une génération née au tournant des années 1980 et 1990 : « L’Âge libre », « sauvagement inspiré des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes », « Ground Zéro » composé à la façon d’Annie Ernaux, et « Boys Don’t Cry » de Jean-Gabriel Vidal-Vandroy. Ce triptyque interroge la question du désir dans une forme originale orchestrée par Maya Ernest.

Les comédiens, les filles de Ground Zéro et de l’Âge libre, comme les garçons de Boys Don’t Cry, ont entre 25 et 30 ans. Ils sont nés à la fin des années 1980 et leur génération est au cœur de leur travail. Dans Ground Zéro, les comédiennes se remémorent des temps forts de leur enfance ou de leur adolescence, de la guerre du Golfe aux attentats du 11 septembre, des manifestations anti-Le Pen de 2002 à Nuit debout… Les deux autres spectacles participent de la même recherche. Ils regardent les jeunes gens d’aujourd’hui à travers le prisme d’une vie et d’une sexualité libérée des contraintes morales mais entravées par la maladie et l’angoisse de la précarité. Le triptyque propose une vision éclatée d’une génération qui semble se dévoiler sans cesse sur les réseaux sociaux mais qui, en réalité, se met en scène sans jamais se mettre à nu.

« Triptyque Masculin-Féminin » par la Compagnie Avant l'Aube © DR
« Triptyque Masculin-Féminin » par la Compagnie Avant l’Aube © DR

Ce travail pourrait être complaisant ou nombriliste. Mais, le processus d’écriture collective est soutenu par des textes littéraires. Roland Barthes guide le questionnement sur le désir féminin, mené dans L’Âge libre : « N’est-ce donc rien que d’être la fête de quelqu’un ? ». Annie Ernaux offre le fil conducteur de Ground Zéro qui, comme le roman les Années, cherche à « sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais ». Ces points de départ littéraires, de même que la pièce de Jean-Gabriel Vidal-Vandroy, permettent aux comédiens d’éviter des poncifs redoutables. Il n’est en effet pas facile de prendre de la distance par rapport à sa vie et d’analyser l’inachevé. Ils y parviennent avec beaucoup de justesse.

Le dit et le non-dit

Tantôt le texte est très cru ; il ose faire fi des réticences et des tabous. Ainsi, Boys Don’t Cry met en scène trois figures de la prostitution masculine. Trois hommes se vendent à des femmes mais ils ne se ressemblent guère. L’un est pauvre et sans famille ; l’autre est entouré et amoureux ; le troisième est diplômé mais conscient que son corps est un bien à négocier. Ils démentent ainsi les clichés sinistres charriés par la prostitution. La violence ne va pas sans tendresse. Si certains épisodes sont très crus, d’autres font preuve d’une infinie délicatesse. Ainsi, les comédiennes de Ground Zéro taisent les attentats de janvier et de novembre 2015. Trop présents dans nos esprits, leur représentation théâtrale, inutile, risquerait d’être obscène. Elles en évoquent seulement les conséquences, laissant au cœur du spectacle une ellipse douloureuse.

« Triptyque Masculin-Féminin » par la Compagnie Avant l'Aube © DR
« Triptyque Masculin-Féminin » par la Compagnie Avant l’Aube © DR

La mise en scène de Maya Ernest met les comédiens au cœur du processus de création. De près, on les voit respirer, suer, vivre. Les costumes des filles se limitent à des sortes de maillots, qui dévoilent leurs corps, dans une magnifique humanité. Les acteurs chantent, dansent et jouent si près de nous qu’ils ne peuvent se réfugier derrière aucune barrière de sécurité. Ils renversent d’ailleurs toute idée d’un quatrième mur en interpelant à plusieurs reprises le spectateur. Cette proximité provoque des émotions fortes et contradictoires.

Le triptyque Masculin-Féminin de la compagnie Avant l’aube ne peut laisser indifférent quiconque se rappelle que le théâtre est un art vivant, éphémère et fragile. 

Anne Cassou-Noguès


L’Âge libre, écriture collective

Mise en scène : Maya Ernest

Avec : Agathe Charnet, Inès Coville, Lucie Leclerc, Lillah Vial

Durée : 1 heure

Du 8 au 30 juillet, jours pairs, à 18 h 10 (relâche le 18)

Ground Zéro, écriture collective

Mise en scène : Maya Ernest, assistée de Vincent Calas

Avec : Agathe Charnet, Inès Coville, Giulia De Sia, Mélina Despretz, Sixtine Leroy, Lucie Leclerc et Lillah Vial.

Durée : 1 h 20

Du 7 au 29 juillet, jours impairs, à 18 h 10 (relâche le 11 et le 25)

Boys Don’t Cry, de Jean-Gabriel Vidal Vandroy

Mise en scène : Maya Ernest

Avec : Léonard Bourgeois-Tacquet, Vincent Calas, Raphaël Goument, Aurélien Pawloff

Durée : 1 h 20

Du 7 au 30 juillet, à 21 h 45 (relâche le 11, le 18 et le 25)

Théâtre des Barriques • 8, rue Ledru Rollin • 84000 Avignon

Dans le cadre du Off d’Avignon

De 12 € à 17 €

Réservations : 04 13 66 36 52

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